La crise terroriste depuis la place Beauvau : récit d’un Premier ministre, Bernard Cazeneuve

A l’heure où le procès des attentats du Bataclan nous fait revivre ces évènements du 13 novembre, Monsieur l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve, a livré au Collège de droit un témoignage poignant de son expérience au Ministère de l’Intérieur à l’époque des faits.

L’arrivée Place Beauvau et la confrontation à un terrorisme réticulaire

Lorsque l’ancien Premier ministre arrive Place Beauvau en 2014, 250 à 300 jeunes sont partis en Irak et en Syrie suite à la proclamation du rétablissement du califat1 par une organisation djihadiste, l’Etat islamique. Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, ils seront plus de 2 000.

A la vérité, le terrorisme islamiste n’a rien d’inédit et fait l’objet d’une lutte depuis les années 1980, notamment cristallisé avec la guerre d’Afghanistan. Toutefois, outre un écart numérique frappant, le contraste est d’autant plus saisissant que le phénomène observé est finalement très différent.

En premier lieu, il convient de rappeler que l’idéologie djihadiste, d’un islamisme offensif, suppose l’extermination de toutes les atteintes à un « Islam pur ». A cet égard, la France par l’institutionnalisation de la laïcité entraverait cet idéal.

Auparavant, il était question de groupuscules d’individus radicalisés qui venaient de l’étranger pour frapper et repartaient aussitôt.

En 2015, l’on avait affaire à des personnes de nationalité française, s’étant rendues et formées en Syrie et en Irak et revenue en France, radicalisées, dans le but d’éliminer les « mécréants » au sens du communiqué de l’Etat islamique revendiquant les attentats du 13 novembre.

Leur départ s’explique par la jonction de l’essor de la numérisation et des conflits en Irak et en Syrie à cette époque. Notamment, les exactions du Président Syrien Bachar El Assad serviront à attirer des jeunes français, souvent issus de quartiers populaires en quête de sens, à se rendre en Syrie en présentant le voyage comme une intervention humanitaire.

Finalement, c’est sous couvert d’un message de recherche de pureté de l’âme et de piété, que l’islamisme et la lutte armée parviendront à creuser leur sillon. Emportés par la propagande numérique de l’Etat islamique, ces jeunes français sont embrigadés depuis le territoire français par ce terrorisme « réticulaire » d’après l’expression du politologue Gilles Kepel. Une fois radicalisés, ceux-ci sont entraînés sur le théâtre des opérations en Irak et en Syrie sous l’égide de groupes armés islamistes.

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Vivre les attentats au cœur de l’action pour sauver des vies

Par son récit, l’ancien Premier ministre nous fait revivre les attentats de janvier et du 13 novembre 2015 du côté du Gouvernement. Bernard Cazeneuve nous livre un témoignage poignant face à une assemblée d’étudiants suspendus à ses paroles.

Procès des attentats de janvier 2015 : les souvenirs de Bernard Cazeneuve, cinq ans après les attaques

D’un trait, sans note, il nous plonge d’abord dans la journée du vendredi 9 janvier et la prise d’otage de l’Hyper Cacher par Amedy Coulibaly. Il faut évacuer l’épicerie et l’imprimerie par la force. Dans le salon vert de l’hôtel Beauvau, il téléphone au préfet de police. La vie des otages est en danger, il faut agir en urgence. On entend une explosion à travers l’appareil téléphonique et la voix blanche du préfet qui compte. Que compte-t-il alors ? Il l’entend compter jusqu’à 14. Il y a 14 otages. Tous sont bien sortis.

La manifestation du 11 janvier qui suit témoigne d’un sentiment d’unité nationale très fort. Des milliers de parisiens saluent et applaudissent les policiers dans les rues.

En novembre 2015, le climat est différent. Le mode opératoire terroriste change. Cette fois-ci par les tirs dans une salle de concert et dans le café, un message totalitaire et de violence est cruellement envoyé. Pour Bernard Cazeneuve, les jours qui suivent n’ont rien à voir avec le climat d’unité nationale qui règne lors de la manifestation du 11 janvier. Les forces de l’ordre ne sont plus applaudies, le rapport aux policiers est plus conflictuel.

Depuis, revivre les attentats tous les jours

L’ancien Premier ministre nous explique, la voix posée mais l’émotion perceptible, que la rédaction de ses mémoires (dont le dernier tome, Le sens de notre nation est paru chez Stock en janvier 2022) le replonge dans l’ébranlement qu’il s’était efforcé de maitriser pendant son ministère place Beauvau. Eu égard à la gravité de sa fonction, il ne fait nul doute que garder son sang-froid lui était imposé. Aussi, livrer son témoignage, à l’écrit, quelques années après les attentats, est « intensément plus difficile » nous explique l’ancien Premier ministre qui doit, dès lors, accepter de laisser tomber le masque.

Bernard Cazeneuve est également amené à revivre l’horreur des attentats lors du procès des attentats du Bataclan, en cours depuis septembre 2021. Il nous décrit ne pas arriver à regarder le box en verre des accusés. Néanmoins, résolument, il poursuit en énonçant que si la cause terroriste n’est pas défendable, celle-ci est l’occasion d’une « démonstration de force de l’Etat de droit ». 

Les apprentis juristes que sont les collégiens sont ainsi convaincus par l’ancien ministre de l’Intérieur, aujourd’hui avocat, que la justice ne doit, non pas, être rendue en morale, mais en droit. Ainsi, la défense des terroristes devient l’instrument de démonstration que l’institution judiciaire demeure le plus grand rempart contre la dictature de la peur.

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Les collégiens remercient Bernard Cazeneuve pour son témoignage aussi captivant que sincère ainsi que d’avoir accepté la dédicace de son dernier tome.

1 Stricto sensu, le califat désigne le territoire sur lequel vivent les musulmans et, sur lequel le calife se voit reconnaître l’autorité politique. Or, l’Etat islamique, comme d’autres, a mobilisé ce concept pour justifier le recours à la violence et la diffusion d’un islamisme radical.

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