Regard sur la genèse du Parquet national financier

En avril dernier, dans le cadre d’une conférence sur le thème du Parquet national financier (PNF), le Collège de Droit a eu l’honneur de recevoir Jean-Luc Blachon, Procureur Adjoint, et François-Xavier Dulin, Vice Procureur.

Pourquoi s’intéresser à la genèse du PNF ? Selon les deux intervenants, les circonstances de sa création, dans le sillon de l’affaire Cahuzac, permettent d’en déduire non seulement ses modalités de fonctionnement mais aussi sa position dans le paysage institutionnel.

Un « terreau » riche et diversifié, contexte de la création du PNF

Le PNF est avant tout le résultat d’une crise politique, « l’affaire Cahuzac », mettant en cause un ministre délégué en charge du Budget. Ce dernier est condamné pour les délits de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Le climat d’urgence et de méfiance provoqué par cette affaire a mené François Hollande, à l’époque Président de la République, à s’interroger sur la façon de « régler » cette crise. La solution s’imposant alors à lui est la création d’un Parquet national financier. 

Par ailleurs, au moment de l’affaire Cahuzac, dans les années 2012-2013, la France connait des difficultés liées à la crise financière de 2008, et est, en outre, très mal évaluée par l’OCDE en matière de corruption. Ainsi, le contexte économique et institutionnel de l’époque a-t-il également eu un effet propre dans la genèse du PNF.

Dès les années 1990, des juridictions spécialisées commencent à fleurir en France, avec notamment la création de pôles économiques et financiers, puis avec l’apparition de juridictions interrégionales spécialisées intervenant sur un champ territorial plus large. C’est sur ce terreau, innervé par un contexte à la fois politique, économique, institutionnel et judiciaire, que le PNF est créé.

Une création contestée

Au moment où la création du PNF n’est encore qu’un projet, celui-ci ne fait l’unanimité ni dans le monde politique, ni dans le monde judiciaire. La sphère juridique éprouve la pertinence de cette réforme par un ensemble d’interventions dont l’objectif est clair : s’opposer à cette création. 

Cette défiance se ressent à travers les choix – méticuleux et prudents – du législateur lorsque, malgré ces contestations, il adopte le 6 décembre 2013 une loi ordinaire et une loi organique qui actent la création du PNF. Il s’agit de concrétiser la volonté d’une meilleure transparence démocratique, de « s’attaquer à la racine de la défiance de l’opinion, qui demande des garanties sur l’intégrité de ceux qui exercent des responsabilités politiques et une plus grande efficacité dans la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale », selon Jean-Marc Ayrault – alors Premier ministre. 

Le législateur reprend ainsi ces différents objectifs : il entend rendre visible la lutte contre la délinquance économique et financière, garantir une autonomie en termes de moyens et instaurer un interlocuteur identifié pour la coopération judiciaire internationale, le procureur de la République financier.

Qu’est-ce que le procureur de la République financier ? 

Le procureur de la République financier détient une compétence nationale : en 2013, il est le seul à disposer d’une compétence territoriale aussi étendue. Toutefois, celle-ci est limitée du fait d’une nécessaire adéquation entre les moyens mis à disposition du PNF et ses champs d’intervention, traditionnellement au nombre de trois : le champ des atteintes à la probité, celui des atteintes aux finances publiques, et celui des atteintes au marché financier. Plus récemment, un quatrième champ a fait son apparition, concernant les atteintes anticoncurrentielles.  

Par ailleurs, le PNF a une existence propre et autonome au sein d’une juridiction donnée, en l’occurrence le Tribunal judiciaire de Paris : il ne dépend « de rien ni de personne » pour organiser ses règles de fonctionnement. Les magistrats qui officient en son sein ne rendent de comptes à aucune autre juridiction. De fait, si au moment des attentats de 2015, beaucoup de parquetiers du Tribunal judiciaire de Paris ont été sollicités afin de renforcer les effectifs de l’exécutif, les magistrats du PNF n’ont, quant à eux, pas pu compléter ces efforts-là. Cette autonomie se traduit également par des moyens propres au PNF : personnels, greffiers, fonctionnaires et moyens matériels en font partie.

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Le PNF se caractérise en outre par sa compétence concurrente à celle des Tribunaux judiciaires répartis sur l’ensemble du territoire. Or, depuis la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, les juridictions spécialisées disposent d’une compétence prioritaire dès lors que leur ressort s’étend aux ressorts d’autres tribunaux. Cette réforme a eu pour objet d’éviter les conflits positifs de compétences. Pour autant, la création de ce parquet a pu soulever un certain nombre d’inquiétudes. 

Du doute de son efficacité à la certitude de sa nécessité

La genèse du PNF fait progressivement fleurir une série de questionnements, certains accompagnant naturellement toute création juridique, d’autres étant plus spécifiques à ce nouveau parquet. Comment ce dernier s’inscrit-il dans le paysage judiciaire ? Comment pourrait-il avoir une vision globale de la criminalité ? Comment appréhender la triarchie nouvelle au sein du Tribunal judiciaire de Paris ?

Or, il ne faut pas oublier que le parquet, même s’agissant du PNF, demeure au sein d’une chaine hiérarchique dans laquelle figure le procureur général, et que le censeur de son action est le juge. Aujourd’hui – sept ans après ladite création – le temps semble avoir fait son effet. Le PNF a tracé son chemin au point de faire désormais l’objet d’un certain ancrage grâce à la multiplication d’affaires qui ont démontré son importance : affaire Cahuzac, affaire Fillon, affaire Sarkozy-Herzog…  

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Autre élément qui contribue à l’ancrage du PNF : les lois et circulaires diffusées ces sept dernières années. Ainsi, la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a contribué à l’atténuation du « verrou de Bercy ». Une circulaire du 2 juin 2020 a créé une compétence quasi exclusive du PNF en matière de lutte anti-corruption internationale, et une circulaire du 3 octobre 2021 a contribué à asseoir la prédominance du PNF en matière de lutte contre la grande délinquance fiscale. Le principe de sa nécessité aujourd’hui acquis, le PNF n’est toutefois pas à l’abri de toute menace.

Le PNF à l’abri de toute menace ?

Certes, le PNF est aujourd’hui bien intégré dans le paysage institutionnel français. Néanmoins, certains écueils existent, notamment le risque de succomber par « étouffement », victime de son succès. Dès lors, l’une des principales préoccupations du PNF est de limiter le nombre de saisines, autant par la société civile que par les associations anti-corruption. Un autre écueil menaçant la pérennité du PNF pourrait être la politisation des affaires. Les parquetiers se donnent pour objectif de l’éviter, notamment en ayant recours au raisonnement en droit. Appliquer la loi, rien que la loi, permet ainsi de se hisser au-dessus du débat d’opinions.

Dans le prolongement de ce risque se trouve celui des erreurs d’appréciation dans la conduite de l’action publique – c’est-à-dire dans l’ensemble des moyens dont use un parquet pour rechercher et poursuivre l’auteur d’une infraction. A cela s’ajoute un dernier écueil, à savoir une éventuelle insuffisance des résultats. Dès lors, comment faire face à ces différentes « menaces » ? 

Via une rationalisation des compétences et du processus décisionnel, le PNF témoigne d’une volonté de stabiliser les critères tenant à sa saisine, critères tendant à trois objectifs. D’abord, garantir la pérennité des institutions et des autorités publiques ; ensuite, préserver l’ordre public économique en luttant contre un certain nombre de pratiques – notamment contre la grande délinquance fiscale, et plus généralement tout ce qui porte atteinte aux règles de l’économie et de la concurrence. Enfin, le dernier objectif consiste à intervenir en direction de certains territoires dont l’intensité et le caractère structurel des atteintes à la probité sont conjugués à une relative faiblesse des moyens locaux, en partie dans le Sud de la France et dans les territoires d’Outre-Mer. C’est sans compter l’aide que lui apportent certains de ses « alliés ». 

Une juridiction soutenue par une multitude d’acteurs 

Le PNF est certes un parquet sans attache, mais pour autant, il évolue dans un secteur peuplé d’une multitude d’acteurs : la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’agence anticorruption, la section judicaire de la gendarmerie de Paris… Ces instances et institutions confèrent au PNF une puissance et une force de frappe intéressantes. 

En particulier, les enquêtes préliminaires apparaissent comme un outil de choix : menées rapidement – et d’autant plus depuis la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire –, non judiciarisées comme l’instruction, elles constituent la grande majorité des enquêtes. L’idée est de réduire au strict nécessaire la procédure dans le but d’obtenir une condamnation pénale. L’enquête préliminaire présente aussi l’avantage d’autoriser des modes d’actions dérogatoires au droit commun, des enregistrements téléphoniques aux perquisitions « surprises ». D’ailleurs, les magistrats se déplacent souvent sur le terrain pour superviser d’eux-mêmes les opérations, conférant au PNF une force de frappe supplémentaire. L’enquête pénale est somme toute cruciale dans l’effectivité du PNF, levier d’une entraide internationale.

En fin d’enquête, le PNF utilise les dispositions de l’article 77-2 du Code de procédure pénale, sur le principe du contradictoire : il ouvre à la consultation tous les dossiers concernés aux avocats et aux prévenus. Le PNF essaye de trouver avec la défense la sanction la plus adaptée, et d’obtenir l’adhésion, par exemple à travers les comparutions sur reconnaissance de culpabilité préalable.

En somme, selon messieurs Jean-Luc Blachon et François-Xavier Dulin, la plus grande faille du PNF est sans doute « l’humain », le mauvais juriste doublé d’un narcissisme prégnant. Le droit, quant à lui, se doit d’entrainer un retour de l’humilité.

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