La Revue du Collège de Droit se propose de revenir, à l’occasion du 230ème anniversaire de sa naissance, sur un astre littéraire qui brille toujours et marque encore la poésie française de sa plume intemporelle : Alphonse-Marie-Louis de Lamartine.
Comme l’estimait le rhéteur et pédagogue Quintilien (Ier siècle ap. J.-C.), «Nascuntur poetae» : on naît poète. Dans l’élongation de ce propos, Alphonse de Lamartine (1790-1869) écrivait sa nature d’être poète dans une préface à ses Méditations poétiques. Par ce préambule, le lecteur se figure aisément la façon dont celui-ci cohabite fugacement dit-il, avec l’art poétique, et par quel brillant maniement il accorde sa lyre, appelée à chanter les cris d’un cœur lacéré, les gémissements d’un homme courbé par le passage du temps et les soupirs d’un être en proie à une irréfrénable lassitude de vivre.
“Voyons comment je naquis avec une parcelle de ce qu’on appelle poésie dans ma nature, et comment cette parcelle de feu divin s’alluma en moi à mon insu, jeta quelques fugitives lueurs sur ma jeunesse, et s’évapora plus tard dans les grands vents de mon équinoxe et dans la fumée de ma vie.“
Une vie et une nouvelle France, prémisses et secousses d’un bruyant chemin poétique
Ayant vu son premier soleil le 21 octobre 1790, Lamartine a passé les sept premières années de sa vie à Mâcon, avec ses parents et ses six sœurs. Entré en pension à Lyon, il entreprend une fugue à ses onze ans, puis étudie à Belley dans un Collège des Pères de la foi. A dix-huit ans, la maladie avait déjà placé son trône dans son être, ce qui l’empêche de mener à bien ses études philosophiques. Il lit alors beaucoup, dans un total désœuvrement, annonçant sa future plume, qui sera souvent vouée à la description de son insoutenable état de désenchantement et d’un âpre et écrasant sentiment causé par la déception. Dissipé, il se lance, à Lyon toujours, dans des études de droit, elles aussi infructueuses et empreintes de sinuosités. Exhorté par ses parents à voyager, Lamartine part pour l’Italie à ses vingt et un an. Il est alors enclin à une grande entreprise rédactionnelle : celle de l’épopée Clovis et de la tragédie biblique Saül. Lors de la première Restauration, il prend place au sein des Gardes du corps de Louis XVIII, d’abord à Beauvais, et enfin aux Tuileries.
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Concomitamment, il esquisse des vers et dédie des élégies à Julie Charles, une femme dont il est éperdument épris et que la maladie emportera tragiquement. Cet événement marque de toute évidence un tournant pour le lecteur désireux de comprendre les forces matricielles de l’œuvre du poète : cette femme qui lui est ôtée par le jeu de la vie devient une pierre centrale dans l’édifice littéraire qu’il est en train de bâtir et de faire jaillir des abîmes de son être.

Les méditations poétiques, «Révolution française de la poésie»
Le 11 mars 1820, ses Méditations poétiques sont mises en vente, publiées d’abord anonymement. C’est à cette date précise que Aurélie Loiseleur, agrégée de lettres classiques et ayant écrit sur Lamartine, situe la «révolution française de la poésie». En effet, avec le vers lamartinien surgissent une poésie du souffle et un lyrisme transperçant les carcans de l’écriture et balayant la technicité classique alors jugée légère et impropre à qualifier élégamment la musique du cœur. La poésie devient une montagne, composée d’un pic, de dangerosités, d’anfractuosités, d’ascensions et de chutes, tantôt bercée par le vent glacial de l’hiver, tantôt calcinée par les flammes du Soleil. Les bourrèlements, les tortures morales, la persécution engendrée par le chagrin et la désolation, tout y peut régner, tout y peut apposer sa signature et marquer ad vitam une strophe ou une effluve verbale. Voilà les ritournelles de la poésie lamartinienne révélée, elle est l’œuvre compilée et bigarrée d’un homme né sous la fin de Louis XVI, adulte sous les derniers Bourbons, à maturité sous la monarchie de Juillet, et sénescent sous le Second Empire.
“Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ? L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être, Ou l’a-t-il accepté ? Sommes-nous, ô hasard, l’œuvre de tes caprices” Le Désespoir
Sa poésie est surprenante, tout entière guidée par la passion chrétienne, mais se sentant autorisée à s’extraire des entraves religieuses pour faire l’éloge de la tendresse, de l’amour fou, de l’hédonisme et de l’acceptation des injonctions et du corps et du cœur. Ainsi en va-t-il du poème La sagesse, dans lequel il soutient que la vraie sagesse consiste à ne plus penser, à vivre et mourir en silence. Il y écrit que «hors le plaisir et la tendresse, tout est mensonge et vanité». Pourtant, c’est le même Lamartine qui abjure quelque peu cet écrit en corrigeant que la vraie sagesse consiste à «faire effort et souffrir», pour que l’homme, né ébauche, meure «statue». Lamartine incarne la liberté de l’esprit, l’incessant voyage de l’âme qui n’aime pas jeter l’ancre, qui fuit la fixation aporétique dans une geôle idéologique immuable, c’est l’envol du poète qui jette son regard perçant, déploie ses ailes d’encre et arme ses griffes pointues d’une plume vouée à l’esquisse de l’insaisissable musique des sens.
La malheureuse aventure politique, apostat du poète et origine de sa déchéance
A l’instar d’un Chateaubriand ou d’un Benjamin Constant, en plus de la divagation littéraire et de la rêverie, Lamartine a cet égarement politique, parjure du poète, trahison du Parnasse, lâche et simple dévoiement qui suffit pour qu’une frange de la communauté lettrée porte l’audacieux en animadversion et jette de la boue sur ses œuvres. Lamartine l’écrit lui-même en 1851, son destin le fait basculer sans cesse «de l’Olympe à l’égout, de la gloire à l’oubli».
Statutairement, sa collection de fonctions publiques commence en janvier 1812 lorsqu’il est élu maire de Milly, ce qui l’extrait de la conscription napoléonienne, alors que la campagne de Russie approche. Sa pièce, Saül, est refusée par le Théâtre-Français, et les portes du monde artistique et littéraire lui sont fermées une première fois. En 1825, il devient secrétaire de légation à Florence, puis successivement chargé d’affaires en Toscane, échoue aux législatives de 1831 à Bergues, Toulouse et Mâcon, fait paraître trois textes à teneur politique (La politique rationnelle ou encore Les Révolutions) pour finalement être élu député de Bergues en 1833, et plus tard de Saône-et-Loire, de la Seine et du Loiret. Entre 1831 et 1839, il tente, en vain, de créer un «parti social», destiné à œuvrer pour le «bien commun» par-delà les factions, les dichotomies et les chicayas partisans. Un très précoce «en même temps» qui ne trouve alors pas assez d’audience. Inexorablement éloigné de la monarchie de Juillet, il prononce un discours vitupérant à l’égard du gouvernement de Louis-Philippe le 27 janvier 1843, puis poursuit ses voyages, notamment sur l’île d’Ischia, éternel objet de sa verve poétique.

Henri-Félix Philippoteaux, vers 1848
Le tournant décisif s’opère lors de l’agonie du règne orléaniste, à la révolution de 1848. Le 24 février, il fut nommé chef du gouvernement provisoire, et c’est lui qui proclama la République à l’Hôtel de Ville de Paris, duquel il exhorte les Français à choisir le drapeau tricolore plutôt que le drapeau rouge, symbole du «sang sur le champ de Mars». Alors ministre des affaires étrangères, il se présenta aux élections présidentielles du 10 décembre 1848, au suffrage universel direct, desquelles il ressortit avec 0,28% des suffrages exprimés, soit 17 910 petites voix. L’échec se passe de commentaires, d’ailleurs, des chroniques de l’époque racontent que l’on pouvait entendre, dans les bavardages du moment, que l’on «n’allait pas voter pour La Martine !», dont la «féminité» du nom décourage. Au sujet de considérations moins légères, nombreux critiquent ses désirs politiques, à l’instar de l’économiste Bastiat qui assiège son programme en matière économique. Notons également Flaubert et sa franchise, qui se moque de cet «esprit eunuque», ou encore Tocqueville qui déclare ne jamais avoir croisé «un esprit plus vide de la pensée du bien public que le sien». Et pourtant, à contre-courant, Victor Hugo, nommé maire du 8ème arrondissement de Paris grâce à Lamartine, l’estime «noble, tranquille généreux, tout entier au pays». Les jugements des Hommes sont fragiles…
“Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie !” Discours de l’Hôtel de Ville du 25 février 1848
De surcroît, Lamartine fonde les journaux Le Conseiller du peuple (1849-1851) et Le Civilisateur (1852-1854). Par la survenance du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, la carrière politique de Lamartine, déjà bien assaillie et peu glorieuse, prend alors une pente qu’il ne remontera jamais. Ses dernières fonctions sont tournées vers la politique locale, en tant que conseiller général de Mâcon-Nord puis Mâcon-Sud, et enfin conseiller municipal jusqu’au 29 janvier 1852. Inconfortablement endetté, il revend ses propriétés, dont son domaine de Milly, et se rabaisse à réaliser des œuvres dites «alimentaires», dont la qualité serait digne des motivations qui les ont engendrées. Romans en prose, cours de littérature, livres d’histoires, les registres varient. Il est à ce titre surnommé «tire-lyre», sobriquet chargé de sens, et attestant bien de la vileté que pouvaient percevoir les écrivains, journalistes et commentateurs de l’époque de ces œuvres de la fin. A la vérité, une souscription nationale, la «souscription de l’injure», est organisée pour le sauver de ses dettes, mais se solde par un échec. Plus tardivement, en 1867, le Corps législatif votera même pour lui verser une pension viagère de 25 000 francs, comme «récompense nationale». Il s’éteindra là où il était logé gracieusement, à Paris, le 28 février 1869.
Lamartine, poète complet à l’écho éternel
Merveilleusement, en prophète illuminé, en surplomb de la mêlée humaine qui tente opiniâtrement de débusquer les lignes directrices et les constantes des actions sur Terre, qui cherche une explication dans les linéaments de l’Histoire , Lamartine le dit, dans son poème La retraite : « En tous lieux, en tous temps, sous des masques divers, l’homme partout est l’homme, et en cet univers, dans un ordre éternel tout passe, et rien ne change […] Chaque peuple a son siècle, et chaque homme a son jour […] Empire, gloire, liberté, tout est par le temps emporté.»
Tout semble dit, tout semble compris pour l’écrivain parfois acrimonieux, celui-là même qui, après le refus de sa candidature à l’Académie française, écrit Sur l’ingratitude des peuples. Parfois accablé et las de dédier des heures à la vie, c’est le «un seul être vous manque et tout est dépeuplé». Et souvent, abattu par le fatal écoulement du sablier, le «O Temps suspend ton vol !». C’est une oriflamme du romantisme français, un fragment poétique éveillé après les bourrasques révolutionnaires qui agitent la France de Napoléon, cette France belliqueuse qui ne songe guère plus aux arts, aux lettres et à la pensée. Auteur du Lac, de l’Isolement, des Adieux à la mer ou encore des Préludes inspirées par Franz Liszt, Lamartine a sa place dorée au Panthéon de la langue française et des grands auteurs, et il laisse à la France une belle poésie, profonde, ouverte, sentimentale, presque métaphysique. Ses maux que donne impitoyablement à chacun l’épreuve de la traversée des jours sont admirablement transmis à la postérité, et sa plume trace la Mort, la Nature, le Désir, l’Impuissance, la Beauté, l’Amour, la Foi mais aussi le Doute ; en somme, l’Humain, avec ses faiblesses et ses ardeurs intrinsèques. Cette plume aux vies multiples, qui sait accorder sa lyre à son siècle en gestation et convertir les soupirs de son âme en lumineuses thrénodies et en vers bouleversants, ne subit guère les outrages du Temps. Les âmes auxquelles fut donnée la singularité de naître au crépuscule d’une époque et à l’aurore d’une autre, qu’ils redoutent, abhorrent ou louent aveuglément, sont marquées d’un sceau particulier. Ils ouvrent les yeux à l’enterrement d’un ordre, et les closent une dernière fois devant les premières lueurs d’un Soleil dont ils ne verront pas le règne, appelé à couvrir les destinées humaines de ses juvéniles rayons.
Source : A. de LAMARTINE. Méditations poétiques, Nouvelles méditations poétiques. Les Classiques de Poche, 2006. Présenté et annoté par Aurélie Loiseleur, publié sous la direction de Michel Zink et Michel Jarrety.
1 réflexion sur « Alphonse de Lamartine : poète à la croisée des siècles, plume de la fin d’un Monde »
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