Il y a de cela soixante ans jour pour jour, le 4 janvier 1960, mourrait dans un accident de voiture Albert Camus. Écrivain, essayiste, philosophe, nouvelliste, dramaturge et journaliste, son oeuvre est si prolifique qu’elle semblerait presque infinie, et l’on ne cesse d’ailleurs d’en découvrir de nouveaux fragments, à l’image des quelques feuillets retrouvés en ce début d’année dans les archives du Général de Gaulle. Aujourd’hui, soixante ans après sa disparition, la première promotion du Collège de Droit de la Sorbonne a choisi d’être baptisée de son nom. Un choix comme un hommage certes, mais aussi et peut être surtout comme un message.
Un hommage tout d’abord à l’homme et à son parcours, de l’orphelin et pupille de la nation des quartiers populaire d’Alger au Nobel de littérature en 1957, ce boursier s’élèvera par son mérite et son labeur à une époque et dans des conditions qui auraient pourtant pu en laisser présager autrement. Né dans une famille pauvre en 1913, d’une mère sourde et d’un père qui sera couché dans la glaise des tranchées en 1914 comme tant d’autres, il passe de son école communale au prestigieux Lycée Bugeaud d’Alger, où il découvre la philosophie et la littérature. Il poursuit par la suite une licence de philosophie à l’Université d’Alger, tout en enchaînant en parallèle les petits boulots malgré une tuberculose latente. Remarqué dès 1937 avec son essai L’envers et l’endroit, le tournant de sa carrière intervient au cours de la Seconde Guerre mondiale, avec tant la publication de L’Etranger et du Mythe de Sisyphe en 1942 que sa prise de direction de la revue Combat en 1943, qui le mettent au contact d’un pan entier de l’intelligentsia française alors entrée en résistance. Un pan avec lequel il rompra largement après la guerre en raison de son opposition au marxisme, exprimée en 1951 dans L’Homme révolté. Il continue à écrire pendant la décennie suivante, avant de trouver la mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960 en compagnie de Michel Gallimard.

Un hommage aussi à l’engagé, au révolté, au communiste exclu du parti éponyme pour sa dénonciation des abus du système soviétique, au pied-noir engagé pour les droits des musulmans quand l’Algérie était française comme pour ceux des colons alors qu’elle devenait algérienne, quitte à se faire en fin de compte haïr des uns comme des autres, sans pour autant fléchir sur ses convictions. Il fut Zola et en même temps Soljenitsyne, enfant de Nietzsche comme de Saint-Augustin, et aïeul de penseurs de tous bords partisans.
Au-delà de ces prises de position, sa pensée présente aujourd’hui une résonance singulière à un âge marqué par un profond malaise social et humain à l’égard de l’absence de sens et par une quête de ce dernier. Un problème qu’il résumait en affirmant que “l’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde” , fondant par là même intellectuellement ses cycles de l’absurde et de la révolte, avec la seconde comme seule réponse possible au premier.
Mais davantage peut être qu’un hommage, il faut voir ici un message. Un clin d’œil à l’ouverture pluridisciplinaire à laquelle aspire le Collège de Droit, qui ne pourrait être mieux incarnée que par cet homme qui, sans être de droit, fut plus que quiconque épris de justice. Comme un appel à s’inspirer d’une vie drapée dans l’exemplarité, à se vêtir d’une vocation profonde à l’excellence et au mérite, à afficher comme un blason une aspiration sincère à l’entraide humaine, et sans refuser le compromis ne jamais admettre la compromission.
Alors, même si depuis maintenant soixante années la Justice est veuve de Camus, subsistent son héritage philosophique et moral, et, espérons-le et aspirons-y, nombre d’héritiers de cette filiation intellectuelle, à laquelle nous tentons aujourd’hui humblement de nous apparenter par l’adoption de ce nom de promotion.