Le Collège de Droit de la Sorbonne a convié au premier semestre ses étudiants à assister aux représentations théâtrales d’une Leçon d’histoire de France avec Maxime d’Aboville faisant le récit oral de textes des plus grand auteurs, comme Michelet, Chateaubriand ou encore Hugo. En voici les contours.
« On peut éclairer l’Histoire, on ne la renouvelle pas » écrit Jacques Bainville en 1924 dans son célèbre ouvrage dédié à l’Histoire de France. Lointaine est l’époque de Péguy et ses hussards noirs, loin est le temps de la narration dithyrambique du roman national, place à l’ère de la déconstruction et de l’objectivisme. Tout l’enjeu de la pièce réside donc dans cette résurrection de la “vieille école”. Non sans subversivité, Maxime d’Aboville intervient au Théâtre de poche pour éclairer l’Histoire avec sa lanterne et faire revivre avec faconde une leçon d’Histoire, au rythme d’un digne professeur de la Troisième République. Quelque deux heures de ce spectacle en deux parties suffisent pour faire oublier le présent et rappeler le passé commun, avec une mise en abyme continue entre une scène théâtrale et un véritable cours d’histoire.
Une mise en scène simple pour une Histoire complexe
Dès que la porte d’entrée se ferme, cette modeste salle transforme les quelques personnes du public en camarades de classe. Ils ont une dizaine d’années, dans les années 1890, et le professeur va entrer pour donner son cours. La proximité place la scène aux pieds des spectateurs et la promiscuité les met entre de bonnes mains. Une représentation cartographique représente les appartenances territoriales de la France et de ses rivaux sur un vieux tableau en bois. Sur la droite, une table avec des tableaux montrant de grands épisodes du passé. C’est tout. C’est donc dans la simplicité que sera dévoilée la complexité de l’Histoire de France, des premières croisades prêchées par le pape Urbain II à la mort de Louis XIV à Versailles. Sans crier gare le professeur entre dans la salle et surprend l’auditoire devenu écolier. Des cheveux courts bruns, un regard perçant, un visage strict et acéré ne permettent plus aux écoliers de distinguer le professeur de l’acteur. Ce dernier a moins de 40 ans et tient déjà une carrière théâtrale impressionnante avec de nombreuses nominations dans différents compétitions et un Molière obtenu en 2015. Fidèle à lui même dans cette pièce, D’Aboville fait communion avec le public dont il aime se moquer de l’éventuelle ignorance, s’il ne parvient à répondre à une question qui lui est posée.
La naissance de la France : l’éveil d’une Nation bâtie par des Rois
L’Histoire purement française commence alors à la conversion de Clovis au christianisme, à Reims au début du cinquième siècle. Le récit s’enchaîne avec l’expansion territoriale et les rois qui ont « fait néant ». Quand la France perd le contrôle d’un fleuve, l’écolier sent que c’est une rivière de larmes qui borde les yeux du professeur. Arrivent alors les deux siècles carolingiens, avec Pépin le Bref, Charlemagne, Louis le Pieux et Louis V. L’enseignement commence vraiment en l’an “mil”. Le professeur montre des tableaux au public, qu’il qualifie de « photos », et ne dit mot lorsqu’il les montre pendant de longues secondes, alors que des siècles regardent l’auditoire. L’élection d’Hugues Capet en 987 apparaît providentielle pour le comédien qui s’empresse sur le règne de Philippe Auguste et précisément la culpa gravissima de la coalition ennemie du dimanche 27 juillet 1214 qui déclencha la bataille de Bouvines, dans le Nord. Ce dimanche en effet, jour Saint, l’ennemi pluriséculaire de la France attaque, alors qu’il y a trêve. Néanmoins les troupes royales françaises remportent la victoire et cela, d’Aboville le narre avec autant de truculence que de satisfaction. Les XII et XIIIème siècles sont ainsi marqués par des conflits dynastiques entre Capétiens et Plantagenêts sur lesquels revient l’acteur.
Une approche passionnante de la guerre de Cent ans
Vient ensuite l’imbroglio successoral dû à la mort de Charles IV et les trois prétendants au trône ayant mené à la Guerre de Cent ans, de 1337 à 1453. La couronne de France aurait pu revenir aux Anglais, ce qu’empêchait la Nation même, ou à une femme, or la loi salique l’interdisait. Le professeur passe alors à la défaite de Crécy en 1346, «Crécy 1346, Crécy 1346, 1346, Crécy, c’est comme ça que ça marche ! » s’exclame le comédien. Les troupes de Philippe VI de Valois s’écrasent sous la pluie meurtrière des carreaux d’arbalètes et des flèches, la boue et l’orage. S’abat ensuite la peste bubonique, et une description physique des pestiférés sur le spectateur. Le conflit séculaire change considérablement la face des belligérants et la France est remise sur pied entre autres grâce à Jeanne d’Arc qui s’illustre notamment à Orléans avant d’être capturée à Compiègne. C’est avec le visage enflammé et la voix bouillonnante que d’Aboville raconte l’épisode tragique du bûcher de Rouen, ce 30 mai 1431, en vue d’affaiblir le roi Charles VII.
Après la catastrophe, la poésie pré-Lumières illumine déjà la Renaissance
Une fois ce lourd chapitre terminé le professeur passe à la Renaissance et successivement au développement du protestantisme, Marignan avec François 1er et l’horreur de la Saint-Barthélémy du 24 août 1572. Le « bon » roi Henri IV est couvert d’approbation, du fait de son édit de Nantes de 1598 par exemple et la France se prépare après l’assassinat du roi en 1610 par Ravaillac, au deux Louis qui firent le Grand siècle : Louis XIII qui eût préféré être poète et Louis XIV qui s’est fait soleil parmi les mortels. Avant cela la pièce revient sur la francisation de la langue, avec l’ordonnance de Villers-Côtterets de 1539 ainsi que sur la construction des châteaux de Chambord et de Versailles. Le comédien insiste, et c’est remarquable, sur les caractéristiques personnelles des rois de France, notamment sur Louis XIII qui semble-t-il, est un homme qui s’ennuie. « Ennuyons-nous ensemble » disait-il fréquemment à autrui. La leçon continue, inéluctablement, avec le Cardinal de Richelieu et le siège de la Rochelle ou encore la guerre de trente ans, Mazarin, la Fronde des Parlements et le génie de Colbert. Plus triste sera l’évocation de l’arrestation de Nicolas Fouquet, surintendant général des finances de Louis XIV, qui provoqua l’acrimonie de ce dernier par le faste d’une fête organisée au domaine de Vaux-le-Vicomte en août 1661. Le roi, jaloux d’une telle munificence, ordonna ainsi l’arrestation de son surintendant.
Une conclusion sur la place de la France dans l’Europe à l’époque
La lumière s’éteint au fil du récit de l’agonie de Louis XIV cet été 1715 et l’ambiance devient solennelle dans la salle. Seule une lumière orangée vise le larmoyant visage du narrateur de l’Histoire et l’on ressent l’indicible, Versailles se détricote. Les larmes sont au bord de sa paupière et le cœur du spectateur s’emballe au gré de l’essoufflement de ce Grand siècle, où la France accomplissait son destin. Peu importe le régime, à l’époque, la France était la reine de toutes les cours d’Europe. La royauté devient chose obscure, tandis que le siècle s’éveillant, devient celui des Lumières.
Les étudiants du Collège de Droit de la Sorbonne qui ont eu la chance de voir cette pièce, organisée en collaboration avec le Théâtre de Poche Montparnasse, remercient les professeurs du Collège pour avoir mis en place ce partenariat et Maxime d’Aboville pour sa leçon d’histoire aussi vivante que passionnante.