Plus de deux ans après l’explosion du scandale à l’origine du phénomène médiatique et sociétal #Metoo, le procès pour viol et agression sexuelle de l’ex-producteur américain Harvey Weinstein s’ouvre ce 6 janvier. A l’occasion de cette audience très attendue, le Courrier revient sur cette affaire qui place les femmes tant au centre des débats que de la défense.
L’épilogue de deux années mouvementées
Accusé depuis octobre 2017 par plus de quatre-vingts femmes d’harcèlements sexuels, d’agressions sexuelles et de viols, l’homme d’affaire hollywoodien Harvey Weinstein placera ce lundi son futur entre les mains de la justice américaine. Mis en examen le 25 mai dernier par la Cour criminelle de Manhattan, l’influent newyorkais devra répondre de cinq chefs d’accusation portant sur l’agression sexuelle d’une femme en 2006 et le viol d’une autre en 2013 pour lesquels il risque la prison à perpétuité. Initialement prévu pour avril puis pour septembre 2019, un juge de New-York a reporté le procès une seconde fois après que le procureur a exprimé sa volonté d’ajouter à l’audience un nouveau témoignage à charge. L’actrice Annabella Sciorra, dont le récit de viol par le producteur en 1993 fait référence à des faits prescrits, pourrait jouer un rôle clef quant à l’issue des poursuites. Outre le report de l’audience, l’été 2019 a également été l’occasion pour le mis en examen de revoir sa défense. Le 11 juillet, devant le tribunal de Manhattan, les deux avocats du magnat déchu du cinéma, Ronald Sullivan et Jose Baez, ont laissé leur place à un binôme de Chicago et plus particulièrement à l’avocate Donna Rotunno. Six mois avant son procès, alors que résonne encore le tumulte du phénomène #Metoo dont il est malgré lui à l’origine, Harvey Weinstein met au cœur de sa défense une redoutable arme féminine.
Donna Rotunno, la femme au soutien d’Harvey Weinstein
De façon inattendue mais finalement peu surprenante compte tenu de sa réputation, Donna Rotunno a pris les rênes de la défense du dossier Weinstein. Brillante avocate de 42 ans, « le bouledogue des salles d’audience » formé à la faculté de droit de Chicago-Kent semble être pour le producteur la femme de la situation. Spécialisée en droit pénal, en particulier dans la défense d’hommes accusés d’agressions sexuelles, elle est l’avocate la plus sollicitée des Etats-Unis en la matière et est donc habituée à plaider en faveur de personnalités puissantes. L’avocate n’en est pas à son coup d’essai, avec bientôt 40 affaires analogues à son actif. Lui doivent notamment leurs acquittements respectifs son ex-collègue avocat Stanley Stallworth et le styliste sénégalais Elhadji Gueye selon le Huffington Post. Accompagnée de son confrère Damon Cheronis, elle a répondu à l’appel d’un Harvey Weinstein en détresse et s’est immédiatement engagée à le défendre.
L’atout féminin contre le tribunal médiatique
Nonobstant les compétences indéniables de Donna Rotunno au regard de ses nombreuses victoires, le choix de l’avocate de caractère est autant la cause que le résultat d’une stratégie réfléchie pour Harvey Weinstein.
Désigner une femme pour la défense de ses intérêts – et surtout de sa liberté – présente pour l’accusé un double avantage. Le premier est celui de la proximité. L’avocate de celui qu’on accuse de nombreuses agressions sexuelles pourrait, lors de l’audience, aborder les victimes présumées sur le plan de l’empathie et incarner pour celles-ci une femme compréhensive et compatissante. Le second intérêt qu’incarne Me Rotunno, et il s’agit probablement de l’axe de défense qui sera retenu puisque l’accusé plaide l’innocence, est celui d’une défense sans barrières. Le jour de sa prise de fonction, elle a ainsi affirmé : « Contrairement à un avocat masculin, je peux mener un contre-interrogatoire serré avec une femme sans passer pour un tyran ». En effet, remettre en cause lors d’un procès les accusations de viols ou d’agressions des victimes est une entreprise délicate qui peut sembler cruelle aux yeux des jurés, quand bien même celle-ci est nécessaire au droit à la défense dont bénéficie l’accusé. L’avocate d’Harvey Weinstein a assuré, dans une interview au Chicago Magazine en 2018, que son statut de femme lui permet de librement faire face aux victimes et donc d’assurer de manière optimale la défense de ses clients – alors qu’il pourrait être reproché à un homme avocat, dans de telles circonstances, d’agir de manière incorrecte.
La défense de la présomption d’innocence
Mais plus qu’une femme parmi les autres, Harvey Weinstein a choisi à ses côtés une femme qui croit en sa disculpation. Pour la pénaliste, toujours selon le Chicago Magazine, il est essentiel que le procès du 6 janvier dissocie l’évaluation de la responsabilité d’Harvey Weinstein du phénomène social mondial que l’affaire a entrainé. Consciente que le mouvement #Metoo a permis une libération encourageante de la parole des femmes sur les agressions sexuelles au quotidien, Donna Rottuno lutte pour autant contre le tribunal médiatique qui, selon elle, a déjà condamné son client. Encore présumé innocent, l’homme a en effet été licencié de sa compagnie de production et exclu de l’Académie des Oscars. Comme le rappelle Le Figaro, la direction du festival de Cannes a publiquement appelé à la condamnation de l’ex-magnat d’Hollywood, dont le nom a d’autre part été effacé de la Promenade des Planches de Deauville. Il serait donc envisageable que Donna Rottuno se fonde le 6 janvier sur l’argument du « système de justiciers » – pour reprendre les mots du réalisateur Olivier Stone – et sur les conséquences irrémédiables que cette affaire a déjà entrainé sur la vie de son client pour encourager le jury populaire à épargner le producteur sur le plan pénal. L’axe de défense semble presque tout tracé.
L’ambitieuse tentative d’une réhabilitation, le risque du contre-coup ?
Malgré une stratégie réfléchie, la condamnation de l’« homme aux soixante statuettes » semble difficilement évitable. L’ampleur médiatique de l’affaire et les accusations d’atteintes sexuelles qui ne cessent de se multiplier à l’encontre du producteur ne seront pas sans conséquences sur le verdict. Pour autant, il semblerait qu’Harvey Weinstein souhaite profiter de ce procès pour, au-delà d’obtenir son acquittement, redorer son image. Dans un entretien exclusif avec le New York Post, l’homme se dépeint, contre toute attente, comme un « pionnier de la promotion des femmes » à Hollywood en tant que producteur. Depuis quelques mois, l’accusé ne se limite pas simplement à nier les faits qui lui sont reprochés. Il semble vouloir renverser la tendance en s’érigeant en instigateur de l’émancipation des femmes au cinéma. Un tel discours, conjugué à l’engagement d’une avocate femme pour son procès, a suscité nombre de réactions. Les victimes présumées et les parties civiles retrouvent dans ces choix le tempérament réputé manipulateur du notable qu’elles ont décrit au New York Times dès octobre 2017.
Entre retentissements médiatiques, divers chefs d’accusation et une défense féminine assurée mais ambitieuse, le procès à venir déterminera d’ici six semaines l’issue de cette affaire dont l’ampleur a depuis longtemps dépassé les limites du cadre judiciaire.