« Je ne suis pas Michel Bouquet » : une génération n’a-t-elle vraiment rien à apprendre à une autre ?

Seul sur scène, sans artifice, le comédien Maxime d’Aboville retrace la vie d’un monument du cinéma français : Michel Bouquet. Le Courrier du Collège s’y est rendu dans le cadre d’un partenariat organisé avec le Collège de Droit.

La pièce s’ouvre sur une remarque qui ne peut qu’interpeller le spectateur, tant elle s’oppose à l’opinion commune. « Quand j’étais professeur au conservatoire, je me suis rendu compte d’une chose, en tout cas, c’est qu’une génération n’apprend rien à une autre. » Pourtant, l’intégralité de la vie de Michel Bouquet semble s’opposer à cet aphorisme. Adapté du livre d’entretien « Les Joueurs », ce monologue est une conversation entre le célèbre acteur et son public et parfois entre l’acteur et lui-même. Le seul homme sur scène n’est pourtant pas Michel Bouquet mais Maxime d’Aboville, grand admirateur de l’acteur qui a choisi de déclamer des passages choisis issus de l’ouvrage.

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Michel Bouquet en 1943
© Studio Harcourt

Maxime d’Aboville a donc découpé en saynètes des moments de vie de l’acteur qui fêtera cette année ses 95 ans. Les premières anecdotes narrent les difficultés à l’école de l’acteur puis les souvenirs avec une femme modèle pour Michel Bouquet : sa propre mère. Cette grande personnalité l’emmenait depuis son plus jeune âge à l’Opéra ou à la Comédie-Française. Bouquet confesse même que sa mère jouait elle aussi un grand rôle, celui de son père brisé par les camps de travail en 39 et la guerre de 14 mais il se corrige aussitôt, ce qui est rendu de façon très authentique par Maxime d’Aboville. Cette correction si spontanée donne au spectateur l’impression que sur scène, c’est un ami qui lui fait des confidences tant la parole est naturelle.

1943 : l’année qui va tout changer

Plus loin, Maxime d’Aboville narre non sans amusement, la rencontre entre Michel Bouquet et un homme qui a changé le visage de sa carrière : Maurice Escande. Maxime d’Aboville retrace ainsi cette rencontre qui n’aurait pas eu lieu sans l’audace du jeune Michel. Je ne serais pas arrivé là si « une force mystérieuse n’avait pas poussé le petit apprenti pâtissier que j’étais à frapper un dimanche matin à la porte d’un grand professeur de théâtre », confessait il dans un entretien accordé au Monde en 2016. En poussant la porte du 190 rue de Rivoli, domicile d’Escande, alors pensionnaire à la Comédie Française, le jeune homme d’alors tout juste 17 ans est finalement reçu. Escande lui demande alors s’il a préparé quelque chose. C’est l’indémodable Tirade du nez que ce jeune homme choisit de déclamer à l’époque, assez loin de l’homme mûr gasgon incarné par Cyrano, ce qui est montré non sans humour par Maxime D’Aboville. Escande décide alors de l’emmener à son cours qu’il dispense. C’est peut-être à ce moment que cet adolescent de 17 ans devient véritablement acteur et au rythme de Maxime D’Aboville, l’auditoire sent qu’il va se dérouler quelque chose de grand dans la carrière de Bouquet. Grâce aux cours du pensionnaire de la Comédie Française, le jeune Michel intègre le Conservatoire d’Art dramatiques de Paris.

La rencontre avec Albert Camus 

Sans le soutien de Maurice Escande, peut-être qu’il n’y aurait pour Michel Bouquet ni Conservatoire, ni rencontre avec Albert Camus. Ce dernier a été « d’une gentillesse inouïe » avec l’acteur encore novice à l’époque. Le philosophe et écrivain s’était en effet rendu à un concours du Conservatoire où le jeune homme déclamait simplement une réplique de Narcisse dans Britannicus. Cet extrait sera visiblement suffisant pour que Bouquet obtienne le rôle de Scipion dans Caligula en 1945. Le spectateur est surpris face à cette histoire racontée par d’Aboville. Il était donc si facile d’auditionner pour Camus ? La réalité historique apporte une réponse à cette question.  À cette époque, l’essayiste et journaliste était presque un inconnu, « il ne représentait encore rien pour les jeunes de ma génération », narre fidèlement d’Aboville.

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Aux côtés de son ami du Conservatoire, Gérard Philipe, qui tient le rôle de Caligula, Bouquet raconte alors que Camus avait « une générosité et une gentillesse immédiate ». Donner sa confiance au jeune acteur qu’était Bouquet à l’époque après dix vers serait d’ailleurs un acte qui aurait donné une énorme confiance en lui selon d’Aboville. Camus a marqué la carrière de Bouquet c’est un fait. De là affirmer que des hommes et des femmes de la génération au-dessus de la sienne lui ont montré l’ampleur du travail que représentait le théâtre, il n’y a qu’un pas que le spectateur aimerait franchir. De surcroît, les générations supérieures lui ont certainement montré à quel point la répétition est essentielle pour trouver la bonne diction et l’intonation adéquate et Bouquet a beaucoup transmis en la matière.

Des élèves qui ont appris avec lui

Dans un entretien accordé à l’émission télévisée « C à Vous » en 2013, Fabrice Luchini le qualifiait de « maître absolu extraordinaire ». Il résumait en effet Michel Bouquet ainsi : « une voix, un phrasé et une intelligence exceptionnelle ». L’élève Luchini aurait donc parfait sa diction qui fait sa renommée aujourd’hui auprès du maître Bouquet ? L’élève se dit lui prêt à tout pour rejouer avec le maître alors même que Bouquet s’est officiellement retiré des planches en avril dernier. Quoi qu’il en soit, à la fin de cette pièce le spectateur ne peut s’empêcher de questionner l’affirmation surprenante du début du monologue car face à tous ces exemples une génération apprend forcément des expériences de l’autre.

Les étudiants du Collège de Droit de la Sorbonne qui ont eu la chance de voir cette pièce, organisée en collaboration avec le Théâtre de Poche Montparnasse, remercient les professeurs du Collège pour avoir mis en place ce partenariat et Maxime d’Aboville. La dernière représentation de la pièce au Théâtre de Poche était début janvier donc il ne reste plus qu’à souhaiter pour les éventuels retardataires que Maxime d’Aboville consente à redonner une représentation.

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