Et si la sanction pénale ne servait pas la justice ? Patrick Trémeau violeur en série récidiviste fut condamné en 1998 à 16 ans de réclusion criminelle. Libéré en mai 2005 après 10 ans de détention, il récidive et est de nouveau arrêté en septembre de la même année.
Dans un registre différent, la magistrate Naïma Rudloff à la tête du département de lutte contre le terrorisme au parquet général de Paris affirmait en juillet 2020 à l’OBS, à l’aube de la libération de 150 détenus condamnés, que « le risque de récidive des djihadistes qui sortent de prison est élevé ».
En 2019 l’INSEE relevait que 40 % des personnes condamnées en 2019 (pour crimes et délits) étaient en état de récidive ou de réitération. Quelle solution ? Faut-il considérer que tout n’est pas fait pour endiguer les crimes (tels les viols, les homicides…) tout en accusant chaque remise en cause de la justice pénale de complicité envers les actes commis, ou bien admettre que ce ne sont pas 5, 10 ou encore 20 années d’enfermement qui feront évoluer un individu ?
De tels chiffres témoignent d’une inefficacité significative de la réponse pénale traditionnelle proposée aujourd’hui. Ce constat semble progressivement tendre à faire l’unanimité mais était déjà présagé par les nombreux auteurs en criminologie qui invitaient, dès le siècle dernier, à « étudier la conduite criminelle, isoler les causes de cette conduite et les caractéristiques de la personnalité criminelle » (Landreville). La question n’est désormais plus tant de savoir si tel ou tel individu a suffisamment été condamné ou non, mais plutôt de trouver une véritable alternative afin que les meurtres, vols et viols ne se reproduisent plus ; de toute évidence la justice punitive ne le permet pas.
La logique pénale semble à ce jour aller à l’encontre de l’idée selon laquelle il n’y aurait pas de déterminisme. C’est cette même idée, forgée sur les combats existentialistes de Jean-Paul Sartre, qui a mené à l’abolition de la peine de mort en 1981. En effet, avait alors été avancé l’argument selon lequel l’individu auteur d’un mal pouvait également être, par la suite, celui d’un bien. Si l’on s’en tient à cette vision des choses, pourquoi attendre la durée d’une peine pour laisser à l’individu la possibilité de faire un bien au sein de la société ? Demeure l’argument de la punition de la faute commise.
La peine a initialement été conçue comme la sanction à un comportement non conforme à l’ordre public. Or celle-ci charge l’individu d’une violence supplémentaire à celle provoquée par les faits pour lesquels il a été condamné. L’émergence d’une justice transformatrice ne viserait pas à nier le mal causé par l’auteur d’une infraction pénale qui constitue de toute évidence une violence. Il s’agirait plutôt de ne pas en émettre une supplémentaire, c’est- à-dire de prolonger la violence. Une plaie ne s’est jamais refermée ou parvenue à guérir avec un coup supplémentaire ; en témoigne le taux particulièrement élevé de récidive sus-cité.
Lutter contre un fléau plutôt qu’un individu.
Peut également se poser la question corollaire à la peine, à savoir la responsabilité des actes commis. Le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, considère que de la même manière que l’a fait la psychiatrie au cours du XXe siècle, le rôle de la sociologie est « d’arracher les gens au système pénal » ; la lutte contre un fléau ne passerait ainsi pas nécessairement par sa punition.
A l’heure actuelle, une responsabilité individuelle est mise en cause, tout en refusant de considérer l’implication d’un cadre plus global qui serait celle du système social tout entier. En refusant la prise en compte de ces facteurs dans la sanction attribuée à l’individu, on consent indirectement à une reproduction inéluctable du fait que l’on souhaite réprimer. Tout adepte de la doctrine répressive actuelle tend dès lors à se rendre complice des comportements qu’il ose lui-même prétendre condamner. C’est du moins ce qu’illustre la pensée de Saint Thomas More, celui-là même qui – au sujet des hommes façonnés en criminels par la société – lance l’interrogation : « Qu’en faites-vous ? Sinon des voleurs pour avoir le plaisir de les pendre ? ».

L’individualisation de la responsabilité est en effet le fruit de l’idéal même du libre arbitre. Or, cette utopie est à conjuguer avec certaines réalités sociales. Même si l’Homme est condamné à être libre, il n’en demeure pas moins que plusieurs phénomènes s’imposent à son existence : pauvreté, manque d’éducation, violence… Ces-derniers constituent des paramètres déterminants dans le passage à l’acte. Enrico Ferri, relève effectivement qu’ils sont à intégrer dans le processus de jugement en ce qui concerne certaines catégories de criminels : en l’occurence « les criminels-nés » ainsi que les « criminels par habitude acquise », à savoir des individus fortement influencés et impactés par leur environnement.
« Pour qu’il pût y avoir une science véritable des faits sociaux, il fallait qu’on fût arrivé à voir dans les sociétés des réalités comparables à celles qui constituent les autres règnes ; à comprendre qu’elles ont une nature que nous ne pouvons changer arbitrairement et des lois qui dérivent nécessairement de cette nature. » Emile Durkheim
Le problème résiderait donc dans une inadéquation entre un problème socio-politique et une réponse avec un système dépolitisant, et par nature désocioligisant : la justice pénale. Effectivement cette-dernière individualise la responsabilité au lieu d’analyser le phénomène dans sa globalité. La société, en adoptant une telle posture, se refuse à observer son implication dans les potentiels maux qu’elle inflige et génère aux individus, une forme de violence pouvant être elle-même la source d’un passage à l’acte ; toute violence n’étant pas visible.
Ce même argument a d’ailleurs pu être avancé dans les années 1970. Il est en effet intéressant de relever l’existence d’un mouvement féministe alors non-punitif. Le Mouvement de Libération des Femmes formé autour de Simone de Beauvoir manifestait alors pour la reconnaissance du viol. Une fois celle-ci acquise, les victimes se rendaient dans les cours d’Assises afin de demander la libération des violeurs, pour lutter contre le ministère public et la responsabilité niée de l’implication plus large de la domination masculine en vigueur à l’époque, de l’absence de politiques publiques entre les sexes…
Face à un tel constat, il semblerait dès lors que le système judiciaire réponde plus justement à la tristesse d’une famille qui a vu l’une de ses filles violée, non par l’incarcération totale de l’auteur (sans effet réel, si ce n’est de satisfaction à court terme) mais plutôt par un combat pour que ce qui leur est arrivé, ne se reproduise pas à d’autres. Certes ces mécanismes appellent à une grande sagesse parfois incompatible avec le sentiment de colère légitime d’une victime. C’est pourquoi, cette révolution théorique nécessiterait « une évolution de nos propres conceptions comme d’ailleurs de celles de l’opinion publique au sujet de la justice ». (Szabo). La société, au nom de laquelle agit la justice pénale, en ressortirait davantage protégée.
L’avènement d’une justice transformatrice se caractériserait notamment par une évolution des conditions d’incarcération qui romprait avec la cellule contemporaine, mais plus largement par une réflexion collective sur la reconnaissance des individus, leur réinsertion mais également le rôle que doit jouer la justice au sein et auprès de la société. Le Professeur Robert Cario ouvre plusieurs pistes à ce sujet, telles : la médiation, la réparation pénale à l’égard des mineurs, des conférences restauratives, des rencontres entre détenus et victimes…
Cette mutation concernerait la majeure partie des condamnations pénales mais se verrait cependant limitée à certaines hypothèses où l’isolement apparaitrait comme nécessaire : ce serait notamment le cas par exemple en matière de terrorisme. Cet aménagement permettrait par ailleurs l’avènement d’une réflexion sur l’état des établissements pénitentiaires français dont les conditions inhumaines et dégradantes ont – pour rappel – déjà été condamnées en janvier 2020 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
=> VOIR AUSSI : Rencontre avec Mikaël Benillouche, auteur de “How to get away with … le droit pénal”
: La justice transformatrice face à l’impasse de la justice pénale