Hong Kong : Sécurité nationale contre sécurité démocratique

Le 13 octobre dernier, la Chine était reconduite pour son mandat de membre du Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des nations unies (O.N.U), l’occasion pour la Revue du Collège de Droit de revenir, grâce à l’expertise de Matthieu Burnay, sur l’un des évènements marquants de cet été 2020 : la promulgation par la Chine d’une loi de sécurité nationale imposée à Hong Kong.

Hong Kong, une situation géopolitique très particulière 

Hong Kong, ancien comptoir britannique en Chine, est sous tutelle du Royaume-Uni jusqu’à sa rétrocession à la Chine en 1997, entérinée et encadrée par une déclaration commune sino-britannique signée en 1984 par les représentants des deux pays. Dans cette déclaration, la Chine s’est engagée à conserver jusqu’en 2047 le système politique hongkongais, hérité de la période britannique et se caractérisant par un fonctionnement libéral doté notamment d’une garantie des libertés fondamentales et d’un état de droit, absents en République populaire de Chine (R.P.C). Ce principe, résumé par la formule « Un pays, deux systèmes » s’est traduit par l’adoption en 1997 d’une « loi fondamentale » faisant office de quasi-constitution de Hong Kong.

Cependant, cette loi prévoit en son article 23 l’adoption d’une « loi de sécurité nationale » pour Hong Kong. Cette formule imprécise connaît une interprétation très large en Chine continentale pour justifier des atteintes graves aux droits et libertés fondamentaux. L’exécutif hongkongais (dépendant de la Chine continentale) a une première fois proposé une telle loi en septembre 2002 mais a finalement dû renoncer en 2003 face à la pression populaire. La volonté de la Chine de renforcer sa mainmise sur Hong Kong n’a cependant pas disparu et s’est même considérablement affermie depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping qui en 2017, lors du congrès du Parti communiste chinois, a déclaré l’avènement d’une « nouvelle ère » pour le « socialisme » chinois. Dans un entretien accordé à la Revue, Matthieu Burnay*, maitre de conférences en droit international et spécialisé dans l’étude des rapports qu’entretient le droit chinois avec le droit international, confirme «  Il y a un effort de consolidation du pouvoir du Parti communiste chinois en interne et de la Chine à l’international ». C’est donc dans ce contexte et en période de crise sanitaire, que l‘Assemblée nationale populaire (A.N.P), l’organe législatif de R.P.C, a voté une nouvelle loi de sécurité nationale pour Hong Kong, promulguée le 30 juin 2020.

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Une loi menaçant sérieusement le principe « un pays, deux systèmes » 

Cette loi a en effet suscité de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir du particularisme hongkongais. Tout d’abord, elle illustre le durcissement de la politique chinoise à l’égard de Hong Kong dans la façon dont elle a été adoptée. En effet, la loi a été adoptée par l’A.N.P, l’organe législatif de Chine continentale, et non par celui de Hong Kong alors que l’article 18 de la loi fondamental hongkongaise limite très clairement l’application des lois chinoises sur le territoire hongkongais aux questions de défense et de politique extérieure. Cependant, l’article 62 de la constitution chinoise prévoit que l’A.N.P décide du système juridique et politique devant être appliqué dans les régions administratives spéciales (R.A.S). Cet article risquerait donc de faire l’objet d’une interprétation extensive de la part du gouvernement chinois. Ainsi, selon Matthieu Burnay « Avec l’adoption de cette loi de sécurité nationale, l’Assemblée nationale populaire chinoises dit que son pouvoir souverain lui permet d’appliquer n’importe quelle loi sur le territoire de Hong Kong lorsque les circonstances le rendent nécessaire ».

Au-delà de sa procédure d’adoption singulière, cette loi de sécurité nationale est également inquiétante par son fond. Le texte prévoit la création de quatre nouvelles infractions à Hong Kong : La sécession (article 20), la subversion (article 22), le terrorisme (article 24) et la collusion avec les forces étrangères (article 29). Ces infractions lourdement sanctionnées (de trois ans de prison à la perpétuité) sont définies de façon très vague et risquent alors d’être sujettes à une interprétation très large. C’est ainsi que l’infraction de terrorisme peut concerner la simple dégradation de mobilier urbain alors que l’infraction de sécession autoriserait à interdire toute manifestation en faveur de plus d’autonomie de Hong Kong (et notamment les nombreuses manifestations pro-démocratie de 2019) et que l’infraction de subversion permettrait à Pékin de limiter sérieusement la liberté d’expression dans la R.A.S.

Les libertés « d’expression, de la presse, de publication, d’association, de rassemblement, de procession et de manifestation » sont certes formellement garanties par l’article 4 de la loi sur la sécurité nationale, mais cette garantie risque de rester lettre morte du fait de l’interprétation très libre qu’auront les autorités chinoises du texte. Une réduction significative des libertés est donc prévisible comme l’explique Matthieu Burnay : « Je n’ai pas de boule de cristal mais ce qui est néanmoins certain, c’est que des multinationales telles que Facebook ou Google qui pouvaient opérer de façon tout à fait libre vont très clairement avoir de plus en plus de demandes de retrait d’informations et moins de flexibilité pour les refuser ». 

La nouvelle loi pourrait aussi affecter gravement la liberté académique car « depuis juillet 2014, le gouvernement de Chine continentale a réalisé une véritable purge dans un certain nombre d’universités de Chine continentale avec de nombreux professeurs soumis à cette procédure extrajudiciaire détruisant leur carrière. Il reste à voir dans quelle mesure les universités hongkongaises vont pouvoir continuer à opérer comme elles le faisaient auparavant et il y a très clairement une inquiétude parmi mes collègues de Hong Kong – y compris ceux qui viennent d’Europe – car cette loi de sécurité nationale offre un levier additionnel pouvant les mettre en danger », toujours selon Matthieu Burnay.

Le 30 juin 2020, l’Assemblée nationale populaire votait une nouvelle loi de sécurité nationale pour Hong Kong. Licence : Remko Tanis / Creative commons.

Des mesures sécuritaires causes de fragilisation de la justice hongkongaise

La loi de sécurité nationale va donc gravement affaiblir le principe « un pays, deux système » et pourrait même lui porter un coup fatal. Toutefois, il est n’est pas impossible que, malgré tout, subsistent quelques poches de résistance institutionnelle, notamment de la part des praticiens du droit Hongkongais qui devront faire fonctionner la loi au regard de la loi fondamentale de Hong Kong. « Cette loi contient certes un grand nombre de dispositions très clairement effrayantes pouvant marquer une nouvelle tentative chinoise de mettre fin au principe “un pays, deux systèmes” mais on peut aussi avoir la perspective plus optimiste de juges pouvant se réapproprier cette loi et la confronter à la loi fondamentale et à la jurisprudence des cours et tribunaux de la R.A.S ». Il serait ainsi possible, toujours selon Matthieu Burnay, que les juges de Hong Kong, encore imprégnés d’une culture juridique britannique, utilisent des concepts de Common Law pour interpréter la loi de sécurité nationale. Un concept tel que la présomption Mens Rea (c’est à dire la nécessité d’être conscient de la gravité de l’infraction que l’on s’apprête à commettre) pourrait ainsi permettre de limiter le champ d’application d’infractions aussi larges que le terrorisme ou la subversion.

Toutefois, cette possibilité est largement compromise par les nombreuses attaques chinoises à l’égard de l’indépendance de la justice hongkongaise et de l’état de droit. Notons par exemple que selon l’article 44 de la loi de sécurité nationale, les juges chargés de traiter les affaires liées à la sécurité nationale sont nommés par le chef de l’exécutif (dépendant du pouvoir central chinois). Par ailleurs, les juges de Chine populaire peuvent juger ces affaires en cas de « difficultés » dues à l’implication des puissances étrangères, de « gravité de la situation » et de « menaces graves pour la Chine » (article 55). Là encore, ces exceptions sont extrêmement vagues et susceptibles d’être interprétées très largement par les autorités chinoises. Les cas de dissidence de la part des juges seront donc très probablement marginaux s’ils surviennent.

« Je ne suis cependant pas naïf sur ce point car ce qui va être très clairement prédominant quant à la portée de cette loi sera ce que Pékin voudra en faire. »

Matthieu Burnay

Une loi problématique au regard du droit international

Les critiques internationales n’ont pas tardé à fuser après que la Chine a annoncé vouloir promulguer une loi de sécurité nationale à Hong Kong. Scrutée, la réaction de l’ancienne puissance coloniale britannique ne s’est pas faite attendre. Au lendemain de la promulgation de cette loi, Dominic Raab, actuel ministre des affaires étrangères du cabinet Johnson, condamnant cette loi, affirmait qu’il s’agissait d’une « indéniable et importante violation de la déclaration sino-britannique ». Pourtant, alors que Londres menaçait déjà la R.P.C en 2019 de « grave conséquences » en cas de violation de ce traité international, la mise à exécution de ces menaces s’est avérée bien en deçà du ton employé par Londres. Le 1er juillet, Boris Johnson annonçait devant la Chambre des Communes, en gage de représailles, l’extension du droit à l’obtention du passeport britannique d’outre-mer aux 2,9 millions de hongkongais nés avant la rétrocession de 1997. Néanmoins, cette solution apparait inadaptée. « Il y a clairement des Hongkongais qui vont saisir cette opportunité, mais l’avenir de Hong-Kong, je l’espère, ne va pas se jouer dans un processus qui la viderait de ses citoyens », observe Matthieu Burnay. 

En outre, si la politique de la Grande-Bretagne, vis-à-vis de la protection des droits fondamentaux dans son ancienne colonie, ne semble pas davantage porter ses fruits, c’est que l’argument juridique qu’elle brandit au travers de la déclaration conjointe est largement inefficient. Lorsque la R.P.C et le Royaume-Uni concluaient cet accord à Pékin en 1984, celui-ci devait fixer l’avenir de Hong Kong, par la préparation du processus de rétrocession. En plus de garantir l’autonomie de la R.A.S, ce traité international affirme que la R.P.C s’engage à ce que les systèmes légal et judiciaire restent inchangés pendant 50 ans, à compter du 13 mai 1997. C’est en ce sens que Margaret Thatcher, alors Premier Ministre, assurait aux élites de la ville, lors d’un déplacement en décembre 1984, que la Grande-Bretagne agirait au moindre manquement de la Chine populaire à la déclaration.

Rencontre entre Deng Xiaoping et Margaret Thatcher, lors des négociations sur la déclaration sino-britannique en 1982. Licence : Manhai / Creative commons.

La déclaration de 1984 engage clairement la R.P.C à respecter l’autonomie de Hong Kong jusqu’en 2047. Or, selon le principe pacta sunt servanda, les accords internationaux obligent ceux qui s’y engagent. Aussi, le Parlement européen apelle depuis début juin à une saisine de la Cour Internationale de Justice (C.I.J), déclarant que « l’imposition unilatérale de la loi sur la sécurité nationale par Pékin à Hong Kong est une atteinte globale à l’autonomie, à l’état de droit et aux libertés fondamentales de la ville. » Toutefois, cette procédure n’a que peu de chances d’aboutir. Au contraire du Royaume-Uni, la R.P.C n’est pas tenue de se plier au mécanisme de résolution des conflits que représente la C.I.J., n’étant pas liée, à l’instar des Etats-Unis, par la compétence de cette juridiction internationale.

Mais au-delà de la simple compétence de la C.I.J, la R.P.C ne se considère tout simplement plus liée par la déclaration conjointe. Cette ligne, peu à peu affirmée par la Chine, s’est vue publiquement assumée en 2014 lorsque le vice-ambassadeur de la R.P.C à Londres, affirmait au président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Communes, que le traité était « nul et ne couvrait que la période allant de la signature en 1984 à la rétrocession de 1997 ». Bien qu’un accord international « doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leurs contexte et à la lumière de son objet et de son but », il est dans le même temps admis que lorsqu’un traité international prévoit la réalisation de certaines prestations, il peut prendre fin lorsque ces dernières sont réalisées. Or, bien que la déclaration conjointe enjoigne la Chine populaire à respecter le statut particulier de Hong Kong pour les cinquante années suivant 1997, elle n’était cependant contrainte à coopérer avec les autorités britanniques uniquement en vue du bon déroulement de la passation de pouvoir entre ces deux États prévue en 1997. 

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Si l’outil juridique, au moyen de la déclaration conjointe, ne semble « pas offrir la solution » selon le professeur Burnay, ce traité international n’est pas la seule source engageant internationalement Hong-Kong et la R.P.C. Pour preuve, des experts du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme adressaient, le 1er septembre dernier, au gouvernement de la R.P.C, une rare lettre dans laquelle ils pointaient les éléments faisant de la loi de sécurité nationale un texte contraire à divers engagements de la R.P.C. L’agence onusienne recommande à la R.P.C une « révision et un réexamen législatif afin d’assurer la conformité de cette loi aux obligations internationales de la Chine en matière de droits de l’homme. » Pour autant, il semble une fois encore peu probable que la Chine se plie à de telles exigences. « On a vu ce qu’a donné la dernière revue périodique sur la situation des droits de l’Homme en Chine, où l’on a assisté à des passes d’armes entre pays qui osaient mentionner le Xinjiang, et d’autres qui affirmaient que c’était une fausse information inventée par les occidentaux (…) je suis assez pessimiste quant au potentiel impact des leviers juridiques et judiciaires, dans le sens où l’on parle avant tout ici d’un débat géopolitique » finit de souligner Matthieu Burnay.

L’envisageable influence de l’Union européenne sur la situation sino-hongkongaise

« Est-ce que cela signifie que le droit international est obsolète et ne devrait pas être utilisé ? Je ne le pense absolument pas. Je pense que la Chine doit être mise face aux responsabilités issues de ses engagements » conclut Matthieu Burnay. Toutefois, si le droit international apparait incapable de contraindre Pékin, il est important de rappeler que la régulation des relations internationales est aussi le fruit de la puissance. En ce sens, selon Matthieu Burnay, « un autre levier potentiel, c’est la négociation éventuelle d’un accord d’investissement entre l’U.E et la Chine. »

Cet accord, en négociation depuis sept ans, devrait notamment faciliter l’accès du marché chinois pour les entreprises européennes. Mais celui-ci pourrait également s’avérer être un efficace outil de pression sur la R.P.C. Cet accord présente en effet deux avantages. D’une part, il « se veut être un accord de nouvelle génération du point de vue de l’Union européenne », ce qui signifie qu’au-delà de traiter uniquement la question des mécanismes de protection des investisseurs, cet accord va devoir prendre en compte les possibles conséquences des activités économiques, en matière sociale, environnementale mais également vis-à-vis du respect des droits de l’Homme en Chine. D’autre part, cet accord « doit être adopté (…) par les vingt-sept États membres, dans le respect de leurs traditions constitutionnelles ». Il est ainsi indispensable que chacun des parlements nationaux, mais également infranationaux pour des pays comme l’Allemagne ou la Belgique, donne son approbation pour que l’U.E puisse conclure cet accord. Matthieu Burnay observe ainsi « qu’il est évident que la question numéro un qui va être discutée par les Parlements régionaux, va être la question des droits de l’Homme en Chine. » « Qu’on le veuille ou non, ces questions de droits de l’Homme (…) sont imbriquées politiquement mais aussi juridiquement dans la manière dont les traités européens sont rédigés. 

L’effondrement de l’idéal démocratique à Hong Kong

Si la perspective d’une solution internationale semble difficilement envisageable, il parait encore moins probable que celle-ci provienne directement des institutions hongkongaises. Malgré la percée historique des partis « pro-démocratie » lors de l’élection des conseils de districts en novembre 2019, la nouvelle loi de sécurité nationale est parvenue à enrayer la dynamique prometteuse de ce mouvement. Ainsi, la “stratégie des plus de trente-cinq” – nombre de sièges nécessaires pour obtenir la majorité du Conseil législatif de la R.A.S – promue par le professeur de droit public Benny Tai, parait désormais infaisable. « Pour le moment la date des élections (initialement prévues pour septembre 2020) a été repoussée et un nombre massif de candidats “pro-démocratie” extrêmement populaires ont été arrêtés ou ne pourront pas se présenter », rappelle Matthieu Burnay. En effet, les trois figures charismatique issues du mouvement des parapluies de 2014, ont été marginalisées par les autorités. Nathan Law, malgré son statut de membre du Conseil législatif de Hong Kong, a dû s’exiler à Londres, Joshua Wong a été interdit de se présenter aux prochaines élections, tandis qu’Agnès Chow a déjà été arrêtée et détenue en vertu de la nouvelle loi de sécurité nationale. 

De gauche à droite : Nathan Law, Agnès Chow et Jushua Wong en 2017, lors des élections pour le chef de l’exécutif de Hong Kong. Licence : Creative commons contribution.

Les perspectives d’avenir paraissent ainsi bien sombres pour Hong Kong. Il semble donc, plus que jamais, nécessaire que la communauté internationale prenne les responsabilités qui sont les siennes, aux moyens des leviers à sa disposition, pour qu’Hong Kong ne rejoigne pas le Tibet, Tienanmen ou le Xinjiang dans le lourd bilan de la Chine populaire en matière de respect des droits fondamentaux. 


* Maitre de conférences en droit international à l’Université Queen Mary de Londres, professeur invité au sein de l’Université Normale de Pékin et de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Auteur de Chinese Perspectives on the International Rule of Law: Law and Politics in the One-Party State, 2018, éditions Edward Elgar. 

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