Cette semaine, la Revue du Collège propose le sixième numéro de sa série d’été consacrée à des acteurs inspirants du monde juridique français. Cette série a pour vocation de faire découvrir des parcours de vie à tous types de lecteurs, juristes ou non. Cette semaine, Yves Daudet revient sur son riche parcours et partage sa vision de l’université et de la justice internationale.
Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le droit à l’issue de vos études secondaires ?
« Ce sont les hasards familiaux : mon grand-père était avocat, mon père était avoué, dans la famille, on faisait du droit. À l’époque je sortais du lycée Henri IV où je m’étais inscrit en hypokhâgne, je voulais être professeur d’anglais pour donner des cours pendant 14h la semaine et le reste du temps aller à la pêche. Mon père, très sagement, n’est pas tombé dans mon piège de rebelle et m’a mis dans la tête l’idée que je pouvais plutôt devenir professeur de droit, comme mon oncle, professeur d’histoire du droit. Mon père m’a proposé de l’accompagner à Aix-en-Provence et je me suis alors retrouvé en première année de droit à Aix. Je n’y suis pas resté et dès la deuxième année, je suis retourné à Paris pour retrouver mes copains et pour y faire ensuite tout mon cursus. Mais je n’étais pas spontanément attiré par le droit. Je me rappelle que tous les matins, dans l’autobus qui m’emmenait à Henri IV, je voyais une étudiante qui lisait un Code civil. Je la voyais qui tournait les pages et qui avait l’air d’apprendre ça par cœur. Je m’étais dit que le droit signifiait apprendre par cœur. »
Vous avez étudié les sciences politiques et le droit à l’Université de Paris, avant d’y soutenir en 1967 une thèse en droit international public. Avez-vous été marqué par un professeur en particulier ?
« À la Faculté de droit de Paris, comme elle était alors dénommée, j’ai été marqué par plusieurs personnes. Pensant d’abord faire du droit privé (du droit civil), j’ai été orienté vers le droit public par le cours de Marcel Waline. J’avais beaucoup aimé son cours de deuxième année, le service public m’avait séduit et les théories de Hauriou et Duguit que l’on nous exposait me passionnaient. Un deuxième professeur qui m’a beaucoup marqué c’est Georges Berlia. Il faisait de très belles chroniques de droit constitutionnel pour la Revue du droit public et de la science politique en France à l’étranger (RDP) au début de la Ve République. Il était tout à fait opposé au général de Gaulle, et montait sur ses grands chevaux à chaque violation de la Constitution. Je l’ai eu comme professeur d’histoire des idées politiques en quatrième année. Il m’a énormément séduit et j’ai fait sous sa direction mon mémoire sur la présidence des assemblées parlementaires française, qui a été publié aux PUF dans la collection des Travaux et recherches de la faculté de droit de Paris. »
Vous avez d’ailleurs été l’assistant de certains professeurs de la Faculté de droit de Paris ?
« J’ai été exceptionnellement bien loti en tant qu’assistant puisque j’ai débuté dans cette fonction auprès du doyen Vedel et ensuite auprès de Mme Bastid, deux patrons très prestigieux. Les assistants aujourd’hui n’existent plus. A l’époque, ils étaient davantage que des allocataires de recherche puisqu’ils assistaient vraiment un professeur en l’aidant à réaliser des recherches, des bibliographies, etc. Ce fut pour moi une chance inouïe d’avoir été choisi par ces deux très grands professeurs. J’avais déjà suivi les cours de Mme Bastid comme étudiant, et comme tous mes camarades je ne dormais pas à l’idée qu’elle nous interroge aux examens. J’ai gardé pour Mme Bastid une vénération totale, et je crois que finalement elle m’aimait bien aussi. Elle me racontait beaucoup de choses et c’était absolument passionnant. Elle écoutait beaucoup et connaissait des quantités de personnalités. Ma génération a eu une chance inouïe puisque nous ne savions pas ce qu’était un mauvais professeur de droit, ils étaient tous remarquables. Il y a eu à l’époque une génération de grands professeurs : Laubadère, Rivero, Vedel, Mme Bastid, Eisenmann… C’était une vie rêvée, ma promotion a été très privilégiée car en plus de ces professeurs remarquables, nous bénéficions d’une organisation absolument exceptionnelle avec des emplois du temps bien conçus, des cours dispensés avec une régularité parfaite, n’excédant jamais une heure et… nous étions peu nombreux ! »
Vous avez obtenu l’agrégation de droit public en 1968, après avoir été lauréat du Prix Georges Scelle pour votre thèse. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers cette branche du droit ? Aviez-vous déjà la volonté de servir le plus grand nombre ?
« À ma génération, nous n’avions pas en général un esprit très généreux à la différence des générations actuelles. Le phénomène associatif était moins développé qu’aujourd’hui, on avait notre solidarité étudiante, on discutait beaucoup, on refaisait le monde à midi et autour d’une bière en sortant de la fac à six heures. On n’avait pas tellement la volonté de servir. Ce qui nous intéressait à l’époque c’était l’indépendance de l’Algérie, ou alors le maintien de l’Algérie française. Je me suis tourné vers le droit international simplement parce que c’était un droit dans lequel, certes, il y avait du droit positif mais il y avait déjà beaucoup de soft law, des lacunes du droit, et j’avais l’impression que c’était un droit marqué par la politique. J’étais au fond très influencé par les théories américaines, comme plus tard celle de l’école de New Heaven. »
Vous avez par la suite entamé une riche carrière académique vous conduisant à enseigner dans de nombreux établissements en France et à l’étranger. Pourquoi embrasser la carrière universitaire ?
« J’avais eu à Aix un jeune chargé de cours qui s’appelait Jean-Claude Venezia, qui est devenu par la suite professeur de droit administratif à Paris II. Il m’avait un jour conseillé de m’intéresser à l’agrégation de droit. Cela dit la chose ne m’a pas vraiment traversé l’esprit. C’était une époque heureuse pour les jeunes, c’était les Trente glorieuses, on savait que l’on aurait un boulot, notre souci c’était d’en trouver un qui nous intéresserait. Le champ des possibles était très ouvert, donc j’ai mis cette histoire d’agrégation au fond de ma mémoire et je n’y ai plus tellement pensé. C’est revenu beaucoup plus tard quand j’étais en doctorat, lorsque mes professeurs de DES (équivalent à l’époque du master recherche) m’en avaient reparlé. Pour moi, devenir professeur c’était un peu une facilité par absence de choix. D’une certaine façon, devenir professeur, c’est rester étudiant, c’est ne pas affronter le contact avec la vie réelle. Mais je ne dis pas qu’il est facile de devenir professeur, cela demande beaucoup de travail, j’ai énormément travaillé jusqu’à l’agrégation. Je faisais des journées complètes : sept jours sur sept, tard le soir et tôt le matin. Mais je partais de l’idée que ça me permettrait d’avoir très vite un très beau poste et de faire des choses intéressantes toute ma vie. Les circonstances ne sont plus tout à fait les mêmes aujourd’hui. »
Quel souvenir gardez-vous de vos premières années d’enseignement ?
« Un excellent souvenir. Les étudiants étaient un peu plus jeunes que moi, ce qui conduisait à des situations parfois amusantes. J’avais un très beau poste d’assistant dans une très belle faculté. On ne se souciait pas de rivalités à l’époque, il y avait une grande faculté de droit à Paris, et les grandes facultés de province étaient peu nombreuses. Quand vous étiez à la faculté de Paris comme assistant, vous aviez de bonne chance de réussir l’agrégation puisque l’on y était très fortement et efficacement encadré. À l’époque il y avait un service militaire, j’avais eu un sursis de longue durée ce qui m’a évité de faire la guerre d’Algérie. Quand il a expiré j’étais devenu docteur et je suis donc parti en mission au Maroc en tant que chargé de cours en coopération. C’était presque ma première expérience de vie à l’étranger. Je donnais des cours à Rabat et une fois par semaine à Casablanca. C’était une petite faculté très sympathique, il y avait deux ou trois professeurs français et les autres étaient Marocains ou venaient de divers pays arabes. L’enseignement au Maroc était assez proche de celui que l’on faisait en France. J’ai passé là deux années très intéressantes, les Marocains étaient très accueillants et sympathiques, mon problème c’était d’ailleurs de leur dire que je ne pouvais pas faire la fête tous les soirs car je préparais le concours d’agrégation. Là-dessus, j’ai été agrégé pendant cette période “militaire”.
En 1969, j’ai été affecté à la Martinique. J’y dirigeais l’Institut d’études juridiques. Politiquement c’était difficile à vivre parce que les étudiants faisaient 1968 en 1969. Ces derniers pensaient que j’allais chercher mes ordres auprès de la préfecture, et la préfecture pensait que j’étais maoïste parce que je laissais les étudiants organiser des conférences surtout sur des sujets sensibles. Mais j’en ai profité pour me balader dans les îles. Les Caraïbes, c’est une région formidable, où le plus grand nombre de puissances coloniales se sont retrouvées ce qui a entraîné une très grande diversité de cultures. Et puis j’ai découvert à ce moment-là Haïti, la première République noire du monde à avoir accédé à l’indépendance au début du XIX° siècle. A l’époque où j’y suis allé elle était placée sous la férule de la dictature de Duvalier. Aller faire une conférence sur « le régime présidentiel et ses déviations » sous le régime de « Papa Doc » ce n’était pas facile. Mais j’y ai rencontré celle qui est devenue mon épouse. Au bout de deux ans passés aux Antilles j’ai appelé le doyen d’Aix, qui m’avait déjà proposé un poste lorsque que je passais le concours de l’agrégation, et qui m’a très chaleureusement accueilli dans sa faculté. »
Spécialiste reconnu du droit international public, votre carrière vous a conduit à travailler dans plus de soixante pays étrangers, au cours de séjours ou de missions. D’où vous vient cet attrait pour le domaine international ?
« Il est né au Maroc. Je suis arrivé dans un monde que je ne connaissais pas. J’ai été fasciné par ce monde et sa richesse. J’aurais aimé rester au Maroc, mais ça n’a pas été possible. Ensuite aux Antilles, j’ai découvert à travers tous ces petits pays toute une variété comme je viens de le dire. C’est une très belle région, vous êtes très près des États-Unis et de l’Amérique latine. En arrivant à Aix, a trente ans, j’ai trouvé une université extrêmement dynamique, très ouverte sur l’étranger. Il y avait deux facultés très ouvertes sur l’étranger à l’époque en France : Bordeaux et Aix-en-Provence. Je suis parti en mission à la Réunion, à Madagascar et j’ai trouvé cela très intéressant. Je me suis beaucoup intéressé à ce moment-là au droit du développement, qui est né dans ces années-là et qui a perduré une quinzaine d’années. J’avais vu l’objet de mes yeux, le tiers-monde je l’avais découvert en Haïti, j’avais été estomaqué par la misère qui y régnait. J’ai aussi passé deux ans en coopération en Côte d’Ivoire à la Faculté de droit d’Abidjan. L’Afrique est un continent extrêmement enrichissant et sympathique. »
Vous avez participé à la création de la première École de droit de l’Île Maurice, quel souvenir en gardez-vous ?
« L’Île Maurice est un pays de droit mixte, partiellement français, partiellement anglais. Quand l’île est devenue anglaise elle a gardé le code napoléon pour le droit privé et les anglais y ont introduit toute leur législation pour le droit public. Il fallait y créer une école de droit parce que les Mauriciens, qui souhaitaient exercer la profession d’avocat, laquelle ouvrait sur un multitude d’autres fonctions, devaient être Called to the bar à Londres pour pouvoir plaider à Maurice. Mais le problème c’est qu’ils ne connaissaient pas le fond du droit qui était d’origine française. À l’inverse, certains allaient étudier en France, faisant l’acquisition du droit identique à celui applicable à Maurice, mais ne pouvaient pas y plaider puisqu’ils n’avaient pas le titre requis. Ce projet de création d’une école de droit nationale susceptible de remédier à cette contradiction me plaisait parce qu’il était de nature démocratique, en ce qu’il ouvrait les professions juridiques au fils du coupeur de cannes qui n’avait pas les moyens financiers d’aller faire ses études à Londres. L’Île Maurice est un petit pays, mais très riche au niveau du droit et de la politique. C’est une démocratie avec une vie politique et diplomatique intense. J’avais créé pour cette école un système partiellement anglais et partiellement français avec une formation à mi-chemin entre les deux systèmes universitaires. Ça a été une expérience qui sur le plan international m’a beaucoup appris. J’ai été très content parce que le major de la première promotion était justement un fils de coupeur de cannes, qui est ensuite devenu un célèbre syndicaliste et avocat mauricien. »
Dans un précédent entretien Marc Henry, président de l’Association française d’arbitrage, affirmait que l’ouverture sur le monde et sur différentes cultures « permet d’avoir une approche des questions plus imaginative ». Partagez-vous ce point de vue ?
« C’est absolument vrai ! J’ai été considérablement enrichi par toutes ces expériences à l’étranger. J’ai gardé une ouverture d’esprit qui je crois a beaucoup joué au cours de ma carrière. On s’est aperçu que j’avais des idées, nées de ma vie de comparatiste, que les autres n’avaient pas toujours : dans des manières de voir des évolutions du monde politique, des relations internationales, des situations sociales ou tout simplement trouver des idées pour administrer un établissement. Quand j’ai pris la tête de l’IEP d’Aix, j’ai pu réaliser pas mal de choses plus ou moins originales justement parce que j’avais eu ces expériences marocaine, africaine et caribéenne et que j’avais des idées sur la manière d’administrer, de gérer et de me comporter avec les étudiants qui venaient d’horizons différents. »
Vous avez également été Vice-président de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la présidence de Michel Kaplan. Quel regard portez-vous sur l’enseignement supérieur en France ?
« En devenant secrétaire-général de l’Académie de La Haye, j’ai vu d’un peu plus loin la situation de l’université française. Je suis un peu inquiet, l’université ne va pas bien. Depuis trente ou quarante ans nous n’avons pas su prendre de tournant. Quand je vois l’état de nos locaux, de nos instruments de recherche, de nos personnels, je me rends compte que nous avons pris beaucoup de retard par rapport à nos homologues étrangers. Sur le plan des moyens j’enrage de voir ce que nos centres de recherche, comme l’IREDIES de Paris I, arrivent à faire avec très peu de moyens. Mieux dotés il réaliseraient des travaux extraordinaires ! Je le vois bien avec les cours de l’Académie de la Haye : il y a une inégalité incroyable entre un professeur français qui travaille seul alors qu’un professeur d’un autre pays va disposer de trois ou quatre assistants. Les professeurs français sont horriblement pris par des tâches administratives et matérielles qui pourraient être faites par des jeunes assistants comme je l’ai été moi-même. J’ai beaucoup appris de mon métier comme cela. La situation est donc préjudiciable pour les étudiants et les professeurs. Ce n’est qu’un petit aspect et il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’il faudrait pouvoir faire pour donner à l’Université française le lustre que méritent ses professeurs et ses étudiants. »
Vous êtes depuis 2017 le Président du Curatorium de l’Académie de droit international de La Haye. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette institution ?
« C’est une institution très prestigieuse qui a été créée en 1923 dans le cadre du mouvement de la paix par le droit. L’idée consistait à créer des cours d’été qui s’adresseraient à des juristes déjà qualifiés, pour les faire réfléchir aux grands problèmes juridiques de l’époque. Depuis les choses ont évidemment évolué, bien que la structure de l’enseignement n’ait pas fondamentalement changé. L’institution a son siège au sein du Palais de la Paix, dans le voisinage de la Cour internationale de Justice et de la Cour permanente d’arbitrage. Les cours sont faits par des professeurs de très haut niveau, en pointe sur leurs sujets, issus de pays différents. Les auditeurs viennent d’une centaine de pays différents. Ainsi, l’Académie est-elle extrêmement ouverte sur le monde, et cherche à faciliter l’échange, le dialogue entre les femmes et les hommes de cultures différentes et transcendant souvent les orientations politiques. J’ai institué un groupe d’études doctorales destiné à réunir des étudiants de tous les pays travaillant sur des sujets proches, pour qu’ils puissent voir quelles étaient leurs visions selon leurs optiques nationales. J’ai été nommé secrétaire-général de l’Académie puis élu à la présidence de son Curatorium quand mon deuxième mandat a cessé. Je m’y suis complètement investi, il fallait faire passer cette institution du XXème au XXIe siècle. Cela a été réalisé, l’Académie a changé de visage, et s’est considérablement modernisée tout en restant fidèle à ses “fondamentaux”. »
Depuis 2012 vous êtes juge Ad hoc près la Cour internationale de Justice (CIJ). En quoi consiste cette fonction ?
« Il existe quinze juges à la CIJ, tous de nationalités différentes. Si, dans une affaire déterminée un pays se présente devant la Cour et que celle-ci ne compte pas de juge de sa nationalité, à l’inverse de son adversaire, ou si aucun des deux pays n’a de juge de sa nationalité, chacun d’eux peut désigner un juge qui compensera ce manque. C’est un héritage de l’arbitrage. Une fois nommé le juge ad hoc se situe exactement à parité avec les autres juges de la Cour, rien le distingue. »
Face à la gravité des dossiers dont la CIJ a à traiter, comment la Cour fait-elle face aux pressions que peuvent susciter de telles affaires ?
« La Cour ne reçoit jamais de demandes insistantes, l’indépendance de la Cour est totalement respectée par les différentes parties et surtout la Cour ne se sent pas sous pression. Lorsque la Cour prend une position, elle le fait parce que de son point de vue c’est le droit. Selon son statut la Cour est chargée de juger conformément au droit international, elle peut seulement statuer en équité à la demande des deux parties. Il y a par exemple une affaire dans laquelle j’ai été juge ad hoc, qui opposait la Bolivie au Chili. La Bolivie demandait à ce que soit reconnue une obligation du Chili de négocier un accès à l’océan au profit de celle-ci. La question qui était très juridique était de savoir si les comportements du Chili, depuis 150 ans, l’engageaient à négocier, ce qu’il n’a pas fait. La Cour a considéré qu’il ne s’y était pas engagé. Certes le Chili s’était exprimé à maintes reprises en faveur d’un dialogue sur cette question, mais la Cour a considéré que ces formules utilisées étaient de nature politique ou diplomatique sans exprimer, en droit, une réelle obligation à la charge du Chili . Moi je n’étais pas d’accord, j’ai donc écrit une opinion dissidente. On admet en droit qu’une obligation peut naître d’une promesse, mais on ne peut être engagé par surprise. Je considère que lorsque pendant 150 on dit « oui je vais négocier », on peut considérer que c’est un engagement. Je pense que beaucoup de juges ont regretté de ne pas avoir pu prendre une décision qui aurait dit que le Chili était contraint de négocier avec l’espoir qu’un jour cela donnerait lieu à une issue positive pour la Bolivie. Mais le droit c’est le droit. C’est un très bon exemple de distinction entre le droit et la justice. Finalement c’est une décision qui peut être estimée injuste, mais elle est conforme au droit. »
Pensez-vous que la CIJ soit toujours un instrument essentiel de la régulation des relations internationales ?
« Oui elle reste essentielle. Ce n’est pas que le droit régisse les relations internationales, les relations internationales sont régies par les politiques et leurs déroulements. Mais si elles ne sont appuyées sur aucune base juridique elles sont extrêmement faibles. Invoquer une coutume ou une jurisprudence de la Cour est une position très forte. Il est difficile d’aller contre une règle de droit, c’est d’ailleurs la meilleure arme des Etats faibles. Mais ce n’est pas le seul instrument essentiel, le premier instrument des relations internationales c’est la négociation. »
Avez-vous un conseil que vous auriez aimé entendre en commençant vos études ou votre carrière professionnelle ?
« Je crois qu’il faut d’abord essayer de faire ce que l’on aime, évidemment cela implique souvent de prendre des risques. Il faut aussi beaucoup travailler, on n’arrive à rien sans travail. L’autre conseil c’est également de ne pas papillonner au début, une fois que l’on a choisi une voie il faut s’y donner à fond. Alors est-ce que j’aurais aimé entendre ces conseils étant plus jeune, c’est encore autre chose, ça dépend du caractère de chacun. »
Avez-vous une devise ?
« Il y a une phrase de Bergson que j’aime beaucoup : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire. »
La Revue du Collège souhaite remercier chaleureusement le professeur Daudet pour l’attention et le temps qu’il lui a accordé dans la réalisation de cet article.