Rentrée du Collège de droit : quand les élections américaines s’invitent sur nos écrans

Crise sanitaire et pandémie, distanciation sociale et annonce d’un reconfinement. Ce n’est pourtant pas aujourd’hui que le Collège de droit déclare forfait et abandonne l’organisation de conférences toujours plus inédites. Moins d’un mois avant les élections présidentielles américaines, les étudiants ont eu la chance de pouvoir participer au premier « webinaire » de l’année, organisé par le Professeur Rozen Noguellou et le Professeur Julien Jeanneney, avec comme invité le Professeur Daniel R. Ortiz, pour déceler les particularités juridiques du système électoral aux Etats-Unis.

Daniel Ortiz – University of Virginia
(Hi-res Photo)

Lors d’un échange exclusivement en anglais via la plateforme Zoom, plus de deux cents participants ont pu profiter de l’expertise du professeur Daniel Ortiz, spécialiste américain de droit constitutionnel et de droit électoral, enseignant à l’Université de Virginie. Conférence d’autant plus impressionnante pour les auditeurs qui ont pu poser des questions à cet ancien chief legal advisor à la Commission nationale pour la réforme électorale (à la suite des élections présidentielles de 2000). Son exposé, mis en perspective avec les élections de mardi prochain, révèle les fondements, le processus et les conséquences de l’actuelle architecture juridique du système électoral américain.

L’organisation des élections présidentielles américaines, héritage vieilli de la Révolution

En rappelant à ses auditeurs les qualités posées par la Constitution pour être éligible aux élections présidentielles américaines, le Professeur Ortiz ne manque pas de souligner l’importance de leur prise en compte pour la validité des candidatures et des mandats. Prenant l’exemple du critère de naissance, il évoque Donald Trump, qui a longtemps questionné la validité des mandats du Président Barack Obama (2008-2016) en partageant des rumeurs sur le lieu de naissance de ce dernier.

Puis, l’invité a présenté le processus d’élection du président des Etats-Unis, dont l’archaïsme est à la fois gage de sa reconnaissance et cause de ses dysfonctionnements. Contrairement à la France, les élections américaines ne sont pas à scrutin direct. Le peuple ne vote pas immédiatement pour un candidat. L’élection du président se fait par l’intermédiaire d’un collège électoral, composé des « grands électeurs » issus des cinquante Etats.

Daniel Ortiz explique ainsi que les élections présidentielles sont marquées par quatre temps forts. En novembre (mardi prochain), le peuple vote pour les grands électeurs qui soutiennent le candidat qu’il souhaiterait voir au pouvoir. Puis, les grands électeurs choisis se réunissent à leur tour pour désigner le binôme président/vice-président. Enfin, le Congrès comptabilise les votes des grands électeurs et annonce le résultat. Le vainqueur est élu à la majorité absolue. S’ensuit, après une période de transition, l’Inauguration Day, le 20 janvier, lors duquel le vainqueur reçoit ses pouvoirs et devient officiellement président.

Les déséquilibres fonctionnels du système de grands électeurs face à l’enjeu de représentativité

Pour le Professeur Ortiz, il est intéressant de constater l’incompréhension des pays à démocratie directe face à ce système. Historiquement, l’intérêt même d’une démocratie indirecte aux Etats-Unis était d’éviter l’expression sans limite de la volonté populaire. Le droit constitutionnel américain s’est construit sur une méfiance de l’effet de masse, postulant que la décision du plus grand nombre n’était pas forcément la bonne. Ce système de collège donne ainsi lieu à des résultats parfois considérablement éloignés de la volonté du peuple. En 2016, alors qu’Hillary Clinton a obtenu, à l’échelle nationale, près de trois millions de voix de plus que Donald Trump, ce dernier a pourtant gagné l’élection présidentielle avec 56,5% de soutien des grands électeurs.

Un tel déséquilibre entre le vote national et le résultat final s’explique par différentes raisons, tant structurelles que sociales. Comme nous l’expose l’intervenant américain, chaque Etat a autant d’électeurs qu’il a de représentants et de sénateurs au Congrès. Alors que le nombre de représentants est proportionnel au nombre d’habitants, chaque Etat, quelle que soit sa taille, dispose de deux sénateurs. Ainsi, le nombre de grands électeurs par Etat n’est pas proportionnel au nombre d’habitants. Les voix n’ont donc pas, d’un point de vue représentatif, la même force : le système favorise les régions les moins peuplées. Liant ce constat aux données sociales et démographiques, le vote des populations de campagne, majoritairement plus âgées et plus conservatrices, favoriserait le vote Républicain.

Cette différence de représentation est d’autant plus renforcée par le scrutin à la majorité et par le bipartisme. Lorsque la population choisit les grands électeurs, elle vote en réalité pour le parti qui “gagnera” l’Etat. Et le parti désigné par la majorité des suffrages exprimés à l’échelle de l’Etat remporte la totalité de ses grands électeurs (sauf pour le Main et le Nebraska). Autrement dit, « The winner takes it all » ! Dès lors, les candidats ont tout intérêt à se concentrer, lors de leur campagne, sur les Battleground states, les Etats pour lesquels rien n’est encore joué. C’est ainsi que Daniel Ortiz se désole de constater la différence d’investissement dans les élections présidentielles en fonction des Etats. Dans les grandes villes ou dans les Etats ruraux, les candidats ne prennent même plus la peine de se déplacer, connaissant d’avance l’issue du scrutin dans ces régions.

Bientôt des élections directes aux Etats-Unis ?

Les critiques du manque de représentativité des élections présidentielles sont une constante dans les Etats à démocratie directe. Et elles s’entendent de plus en plus aux Etats-Unis, expliquant certaines initiatives tendant vers un vote plus populaire. En 2006, plusieurs Etats se sont accordés pour attribuer l’intégralité des votes de leurs grands électeurs au candidat qui remporte la majorité des votes populaires. Cette initiative est inédite et remet en cause le sens même du système de collège électoral. Mais réviser véritablement ce dernier serait délicat selon Daniel Ortiz. La réforme de la Constitution américaine est presque impossible et l’idée même de retirer des électeurs à certains Etats serait difficilement acceptée.

=> Ecouter un podcast sur la particularité des élections américaines

Le système électoral américain face à la gestion de situations exceptionnelles

Une fois le fonctionnement des élections présidentielles américaines présenté, le Professeur Ortiz, face aux questions des professeurs Noguellou et Jeanneney et du public, a partagé ses analyses au sujet de diverses hypothèses inédites.

Il a ainsi évoqué la possibilité qu’aucun candidat n’obtienne la majorité absolue. Dans ce cas, une procédure exceptionnelle permet à la Chambre des représentants d’élire le président et au Sénat de désigner le vice-président. Pour D. Ortiz, ce scénario est extrêmement rare, surtout pour un collège de 538 grands électeurs. Mais cela n’a pas empêché une telle issue en 1800, donnant lieu à l’élection de Thomas Jefferson.  

Les étudiants et les professeurs se sont de même intéressés à la question du décès ou d’une maladie d’un candidat, faisant référence à l’hospitalisation de l’actuel Président Donald Trump lors de sa campagne. Nombre de présidents sont décédés pendant leur mandat ; et ce cas de figure est envisagé par la Constitution. En revanche, aucun n’est tombé gravement malade ou n’a été tué juste avant une élection. Aucune réponse à cette hypothèse n’est apportée ni par la Constitution, ni par les lois fédérales, ni même par des précédents historiques, à tel point qu’il semble impossible de savoir comment une telle situation pourrait être gérée.

Les participants ont également évoqué successivement les hypothèses d’une possible incapacité des candidats ; avant l’élection, avant le vote du collège électoral ou encore après le résultat mais avant l’Inauguration Day. D’autre part, Daniel Ortiz a été ravi de débattre sur l’influence de la pandémie sur l’organisation des élections de 2020, sur la fiabilité des votes numériques ou encore sur les enjeux du mouvement Black Lives Matter. Tant d’interrogations auxquelles l’illustre spécialiste a tenté de répondre, liant humour et pédagogie, tout en se gardant de faire des pronostics sur les élections à venir. L’issue est encore trop incertaine. Qui vivra verra !

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Le Collège de droit remercie le Professeur Daniel Ortiz pour son intervention, ainsi que les membres de la direction du diplôme ayant mené à bien cette conférence.

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