Portrait de l’avocate Solange Doumic, «il y a des poignées de mains qu’on n’oublie pas»

Cette semaine, le Courrier du Collège propose le troisième numéro de sa série d’été consacrée à des acteurs inspirants du monde juridique français. Cette série a pour vocation de faire découvrir des parcours de vie passionnants à tous types de lecteurs, juristes ou non. Cette semaine, l’avocate Solange Doumic s’est prêtée à l’exercice. 

Comment s’est imposé à vous le choix des études de droit ? Était-ce par hasard ou un choix mûrement réfléchi ?

« Après une terminale C option maths, je ne voulais plus faire de maths. Ayant beaucoup travaillé en Terminale, je ne voulais pas aller en prépa et ayant été dans un lycée de filles je ne voulais pas suivre une filière où il y aurait une immense majorité de filles. J’ai donc choisi la faculté mais pas pour étudier les lettres, ni faire d’histoire ou de philosophie pour des raisons de mixité insuffisante à mes yeux à l’époque. Je ne voulais pas non plus étudier la médecine ou l’économie parce qu’il y avait encore trop de maths, il me restait donc le droit. Ce choix s’est donc dessiné par élimination. Le droit m’a beaucoup plu et j’ai mis un an à réapprendre qu’on pouvait travailler avec plaisir ».

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Si vous avez étudié le droit par élimination, peut-on en dire autant pour votre choix de devenir avocat ?

« À la fin de ma première année, j’ai fait un stage chez mon parrain qui dirigeait une société de conseil juridique et je me suis alors dit que ça ne m’intéressait pas, ce qui le faisait beaucoup rire parce qu’il s’en rendait très bien compte. Comme il voyait bien que ce n’était pas fait pour moi, il m’a envoyé à la fin du stage suivre au palais l’avocate qui s’occupait de leur contentieux au palais. Nous avons été à la Toque [casier dans lequel les avocats récupèrent leur courrier, ndlr], à la buvette et j’ai tout de suite trouvé que c’était un métier extraordinaire où on rencontrait des gens et que c’était une ambiance qui me faisait penser à celle de ma faculté. Je me suis dit : je veux faire ce métier où on est en fac toute sa vie. C’est comme ça que je suis devenue avocat. »

Vous avez fait un DEA de droit privé à Assas, est-ce qu’un professeur a marqué particulièrement ces années ?

« J’ai effectivement fait toutes mes études de droit à Assas donc d’abord dans les bâtiments rue d’Assas et la dernière année de DEA, donc de master 2, dans les bâtiments qui sont au Panthéon. J’en garde un excellent souvenir. Deux professeurs ont particulièrement marqué mes études : le professeur Sourioux, originaire d’Orléans, qui nous disait qu’il fallait être « obsédé textuel » et qui était très content de son jeu de mot. Il nous apprenait vraiment le sens du texte, ce qui m’a beaucoup plu. Le professeur Catala, également professeur de droit civil, m’a beaucoup marquée. Il était absolument formidable avec une légère pointe d’accent du Sud, une pensée d’une grande clarté, une expression juste au mot près avec des phrases percutantes où il ne fallait rien changer. J’aime beaucoup ça chez les bons juristes, l’amour du mot juste, la phrase ciselée et il m’a énormément fait aimer le droit des successions.  Plus tard, jeune avocate, j’ai rencontré le Professeur Philippe Malaurie et lui aussi m’a beaucoup appris. »

Vous avez été premier secrétaire de la Conférence en 1995, quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?

« La Conférence a pour but de former un avocat, lui apprendre ce qu’implique vraiment la défense et en être nourri. Vous m’avez demandé si j’avais passé ce concours pour avoir des clients : non, on ne tente pas ce concours dans un but commercial et je l’ai passé par amour de l’éloquence. J’ai découvert les joutes oratoires quand j’étais élève-avocat. J’ai alors commencé à écouter le plus possible tous les discours qui étaient prononcés et, ce qui m’a surprise et réjouie, puis j’ai été élue directement au premier concours avec dix mois de palais, ce qui est assez rare. J’avais prononcé mon premier discours quand j’avais trois semaines de après ma prestation de serment. ! J’en garde une intensité de trac incommensurable que j’ai revécue ensuite à différents moments, parfois encore plus fort avant d’aller aux assises par exemple ou avant les grosses plaidoiries. C’était la première fois que ça m’arrivait aussi fort et je me souviens encore, outre de mon appréhension, de la bibliothèque de l’ordre avec la salle comble. J’ai vécu alors pour la première fois le plaisir de l’orateur, celui de dialoguer avec la salle qui l’écoute. »

En 2018 l’Obs revenait sur le procès de Guy Georges et vous consacrait un podcast sur le moment où vous l’avez fait avouer. Quel souvenir conservez-vous de cet instant précis aujourd’hui ? 

« Lorsque ça s’est passé j’étais complètement assommée moi-même, sous le choc de son volte-face et de sa violence. Il y a eu une suspension d’audience. La salle s’est vidée. Je suis restée dedans pour respirer. Puis je suis sortie et j’ai vu le mur de caméras. Alors seulement, j’ai pris conscience que je venais de le faire avouer et que c’était énorme. Avant j’étais dans l’action et je n’avais aucun recul sur ce qui venait de se passer. C’est comme quand on se fait mal et quand on n’a pas encore mal ».

Avez-vous eu d’autres affaires qui vous ont autant ou plus marquée depuis le début de votre carrière d’avocate?  

« Quand j’ai été commise d’office pour Mickaël Fréminet qui avait poussé dans la Seine Brahim Bouraam lors du défilé du Front national du 1er mai 1995. Plus généralement, j’ai eu plusieurs dossiers criminels avec des clients avec lesquels je me suis extrêmement bien entendue. Notre métier crée des liens très forts. Il y a des poignées de mains qu’on n’oublie pas, des échanges avec des clients, des hommes en prison que j’ai rencontrés et que je n’oublierai jamais. Ces souvenirs ne sont pas des fardeaux mais des compagnons. Cette réflexion me fait penser à la préface de Bernanos dans Les grands Cimetières sous la Lune où il parle de ses compagnons. « Oh ! je sais bien ce qu’a de vain ce retour vers le passé. Certes, ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la Maison du Père ». Tous nos souvenirs, tous nos dossiers, c’est un peu ça. Ces clients sont avec nous, autour de nous et font la richesse de l’avocat. C’est une des raisons pour lesquelles nous exerçons un métier extraordinaire : on exerce exactement le même le lendemain de notre prestation de serment et la veille du jour où nous raccrochons la robe à 75 ans. Nous nous enrichissons au fur et à mesure des dossiers et des rencontres. »

Face à des affaires marquantes et des clients qu’on n’oublie jamais, comment rentre-t-on le soir ? Que fait-on de ce bagage une fois arrivé chez soi ?

« Est-ce qu’on laisse tout ça sur le pas de la porte vous voulez dire ? La réponse est non, on se retourne beaucoup dans l’escalier pour vérifier ce qu’il y a dernière nous. On ne laisse pas l’affaire de côté, même passée. Une affaire que l’on plaide, que l’on porte, cela nous habite complètement. » 

Pour certains avocats, la vérité n’a pas beaucoup d’importance dans un dossier, quel est votre rapport avec la vérité en tant qu’avocate ?

« C’est une évidence pour moi. Je recherche la vérité intérieure, une cohérence personnelle donc je ne vais pas mentir. Je ne suis pas enquêteur donc je ne suis pas là pour savoir si mon client qui n’a pas tué dit la vérité ou pas. Je suis là pour le défendre quitte à lui dire si un élément ne tient pas la route ou si le dossier dit l’inverse. Je ne vais pas maquiller le dossier. Les avocats ne sont ni des psychologues, ni des justiciers. Nous sommes là pour défendre et parfois cela signifie aider le client dans une démarche de vérité mais ce n’est en rien un but. Se transformer en ennemi du client qui va le faire avouer pour transformer la situation en procès à la Ceaușescu me semble être une erreur, ce n’est pas la mission de l’avocat. 

Quand je venais de prêter serment, au moment de mes premiers dossiers criminels lorsque j’étais jeune secrétaire de la Conférence, j’avais envie de savoir. Je pensais « ah, si je pouvais
savoirs ! » Je pensais que je le défendrais aussi bien, voire mieux, et que je serais plus libre. Avec le recul, je ne crois pas que ça aurait été le cas ; et maintenant cela m’est égal. Mon client me dit qu’il ne l’a pas fait, je ne sais pas s’il l’a fait mais je vais travailler pour lui son dossier et l’épauler sur son chemin. »

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Vous êtes une avocate discrète dans les médias et sur les réseaux sociaux en particulier. Pourquoi une telle réserve, à l’heure où ces derniers sont plus que jamais omniprésents ?

« C’est une vraie question pour moi. Certains avocats passent un temps considérable sur les réseaux sociaux et je trouve que chacun a sa propre originalité. J’ai des confrères dont j’admire beaucoup la communication, que je trouve à la fois percutante et intéressante. Passer beaucoup de temps sur les réseaux me fait perdre de mon imagination et je pense qu’il y a des gens au contraire qui sont stimulés par cet outil. Je trouve également que cet instrument pourrait me faire perdre de ma crédibilité, s’il n’était pas utilisé à parfait escient. Par ailleurs, toute l’énergie que je mettrais dans des tweets, que je réduis au minimum, je ne pourrais la mettre dans mes plaidoiries. Je pense que j’ai des confrères pour qui c’est l’inverse. Il est également indéniable que les réseaux sociaux permettent de se faire connaître et de se faire de la publicité ».

Avez-vous en tête un conseil que vous auriez aimé recevoir en commençant les études de droit ?

« En commençant ces études, j’aurais aimé que l’on me dise : n’hésite pas, vas-y, plonge ! C’est
formidable ».

Avez-vous une devise qui vous anime ? 

« Ce n’est pas une devise à proprement parler mais une phrase qui me touche particulièrement : Les défendre tous, le titre d’un livre d’Albert Naud. »

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