Pas tous égaux, mais tous ego : quelles divas face aux ténors du barreau ?
Il n’est pas rare d’entendre au sujet des brillants avocats pénalistes du barreau français qu’ils sont des « ténors » du barreau mais qu’en est-il de leurs homologues féminins ? Qui sont ces femmes « divas » du barreau ?
« Les voyous ont un temps d’avance sur les chefs d’entreprise. Ils ne s’arrêtent pas au fait que je sois une femme » assure l’avocate pénaliste Clarisse Serre, qu’il ne serait pas malvenu de considérer comme une véritable « diva du barreau ». Elle dépeint ainsi une réalité de plus en plus présente bien qu’encore peu médiatisée, à savoir celle de la place des femmes avocates de la défense.
Ces divas du barreau, aussi nommées « avocates du diable », n’ont pas peur du « ring de box » que peut être la confrontation avec l’accusé. Elles défient tous stéréotypes, refusant de se limiter à défendre les victimes dont le profil serait associé par nature à l’instinct « maternel » de la femme. Elles sont nommées « divas du barreau » par analogie à leurs homologues masculins, les ténors, avec qui elles partagent trop peu l’orchestre des plaidoiries pénales. Ces femmes acceptent de défendre le diable. Bien que de plus en plus présentes de ce côté de la défense, elles restent éclipsées des médias. Pour Alice, avocate anonyme interviewée par Arte, cette réalité ne serait pas la conséquence d’un quelconque déterminisme social qui pousserait la femme vers la victime, mais parce qu’elles seraient plus discrètes et ne chercheraient pas autant les projecteurs que certains pénalistes du genre masculin.
Des femmes dans un monde d’hommes
Si elles sont souvent oubliées des classements « avocats de l’année » et des journaux en général, c’est parce que l’on considère souvent que les femmes n’auraient pas les épaules pour aller sur le ring, défendre un « voyou ». Or ce constat reviendrait à faire une généralité qui, comme toutes généralités, est un solipsisme mensonger. Car oui, certaines plaident sans pleurer, certaines défendent sans se démonter. Certains témoignages d’avocates tels que Julia Minkowski, avocate pénaliste associée chez Temime associés sont lourds de sens. “J’ai été récemment contactée par un pénaliste me demandant mon avis sur une ancienne stagiaire qui postulait chez lui. Ne recrutant que des hommes, il s’inquiétait de sa capacité à endurer la pression de certains clients de droit commun mais… avait tout de même besoin d’une bonne plume ! Les préjugés ont la vie dure”. Pour autant, elles admettent trouver parfois difficile de surmonter le sexisme ambiant des prisons. Rencontrer un prévenu dans un box quand celui-ci demande «Où est mon avocat ? Je n’ai pas besoin d’une secrétaire» n’est pas tout de suite évident pour ces femmes qui dépassent les préjugés.
Parfois, la féminité est écartée et l’avocate devient non genrée comme le soulignait une avocate pénaliste interviewée dans l’émission « L’avocate du diable » en 2017. Il est en effet commun de penser qu’un mis en cause dans une affaire de viol a tout intérêt à choisir une avocate plutôt qu’un homme pour sa défense afin de montrer aux magistrats qu’il n’est pas aussi dangereux qu’il n’y parait puisqu’une femme n’a pas peur de le représenter. Cette stratégie a notamment été observée dans le cadre du procès Weinstein, où ce dernier a été représenté par l’avocate Donna Rotunno. Mais l’« avocate du diable » affirme que, dans ces cas, son statut de femme ne change rien : « On n’a pas l’impression d’être une femme quand on arrive dans le box ». Peu importe le genre en effet, il peut être particulièrement impressionnant de se retrouver face à un prévenu suspecté d’agressions ou d’actes de pédophilie.
Mais quelle est la réelle motivation de ces jeunes avocates à choisir la défense ? Est-ce par ego pour s’affirmer face à leurs confrères masculins ou par stratégie ? Par fascination malsaine ou par déontologie professionnelle ? Les raisons qui poussent ces « divas » à choisir la défense de criminels interrogent, a fortiori parce que ce sont des femmes, caricaturées comme étant plus empathiques vis-à-vis des victimes. Que ce soit par cynisme, ego ou pure déontologie professionnelle, quatre avocates du diable ont exposé ici la téléologie de leurs défenses.
Pas tous égaux, mais tous ego ? : des femmes revendiquant leur fierté à défendre le diable
En matière d’ego, imputé souvent de façon caricaturale à l’avocat Éric Dupont Moretti, les divas du barreau ne cachent pas en être animées lorsqu’elles choisissent leurs dossiers. L’avocate Alexandra Hawrylyszyn dévoile le caractère addictif des plaidoiries aux Assises et le frisson de sortir satisfaite d’un « beau dossier », qui qualifie paradoxalement les affaires les plus morbides.Si l’exercice pénal est aussi attirant, c’est aussi parce qu’il est extrêmement médiatisé et donc synonyme d’une certaine reconnaissance publique.
La morale renvoyée sur le banc de touche ?
Mais comment un avocat, auxiliaire de justice, pourrait-il affirmer se moquer de la morale ? La réalité est plus nuancée. L’avocate du diable n’est pas qu’un être mu par l’ego. Défendre les clients les plus odieux peut s’avérer au contraire être la marque de l’éthique des défenseurs. Ceux qui clament que « la vérité : on s’en fout » semblent écarter des motivations de ces pénalistes tout débat moral. Que la morale soit dissociée de la défense n’est pas en soit blâmable, comme le soutenait l’avocate pénaliste Solange Doumic lors d’une conférence « L’avocat du diable ira-t-il au paradis ? ». Cette conception s’explique en partie parce que l’avocat fait preuve de conscience morale, dans la définition même de sa profession, en se consacrant à autrui, en l’aimant pour le défendre et pour le conseiller. La morale ne saurait être une source absolue pour l’avocat car celui-ci a pour vocation d’exercer en conscience ; aussi il n’existe pas dans l’absolu de causes indéfendables. Il peut donc choisir d’exercer en conscience en gardant comme ligne de mire l’idéal de promotion de l’humain avant l’acte, cherchant avant tout la possibilité qu’il y ait chez l’homme la possibilité de réfléchir sur ses actes, de s’excuser et de mûrir intérieurement. C’est précisément le choix qu’ont fait ces femmes : celui de faire corps avec les plus grands criminels, arguant que la peine doit avoir un sens. C’est pourquoi, Clarisse Serre, conseillère pour la série Engrenages, la « lionne » du barreau, affirmait qu’il est absolument impératif d’apprendre à lire et à écrire aux détenus afin de les élever contre le déterminisme social.
Des divas animées par une éthique professionnelle
Si ces femmes choisissent la défense, c’est aussi pour préserver le principe selon lequel « chaque homme a droit à une défense », au cœur de leur éthique. Parce que le passage au crime n’est pas l’apanage des banlieues dites « à risques ». Parce que du jour au lendemain un cadre, archétype du père de famille, poussé à bout, peut en venir à tuer sa femme à coups de hache sans que l’on puisse le voir venir. Parce qu’un accusé est avant tout un homme, ces avocates se doivent de lutter contre la tendance d’une « justice prédictive ». Elles déplorent la réalité de magistrats qui statuent sans avoir écouté leurs plaidoiries et de jurés qui stigmatisent les accusés en s’affranchissant de leurs serments . Derrière leurs plaidoiries se cache avant tout la volonté de combattre une justice parfois manichéenne, au sein de laquelle l’accusé est un monstre et la victime forcément un ange. L’accusé n’est pas simplement un criminel, il a une histoire, un passé qui, à défaut de le déresponsabiliser, peut du moins expliquer en partie ses actes. Pour ces avocates également diabolisées, tant que des magistrats persisteront à juger a priori et que l’on continuera de caricaturer et de noircir l’accusé, la robe de ces femmes conservera un sens.
@kebens@laurencebarbry c vrai que nous nous insurgeons contre magistrats qui n'écoutent pas audience, dorment, lisent. Twitter idem.
Déjà en 2012, Christian Saint-Palais, avocat et actuel président de L’Association Des Avocats Pénalistes admettait l’existence de ces dérives.
La perception de la violence entre également en compte pour ces jeunes femmes : pour certaines, défendre des criminels n’est pas nécessairement ce qu’il y a de plus violent, ce qui explique pourquoi elles acceptent les dossiers les plus compliqués. Elles sont également convaincues que certains litiges familiaux, comme les instances de divorce, sont bien plus violentes.
Un métier qui ne quitte pas les divas une fois l’audience terminée
Outre les faits sordides et les personnalités vicieuses qu’il faut s’appliquer à défendre avec le plus de retenue possible, les lourdes peines prononcées sont parfois compliquées à entendre pour ces avocates pénalistes. Cela est d’autant plus difficile que, comme le souligne Alice, l’avocate anonyme, il est impératif de faire corps avec son client si bien qu’il n’est pas rare d’entendre souvent dans le jargon pénaliste : « J’ai pris 12 ans ». De plus, plaider aux Assises en défense reste terrifiant pour ces avocates comme pour les avocats. Bien qu’immunisées face à la violence, elles évoquent avoir une « peur viscérale au corps » avant de plaider. Le doute les envahit comme dans tout procès à un moment ou un autre. « Ai-je tout dit ? N’ai-je pas omis un argument en ma faveur ?» sont des questionnements qui, homme ou femme, réveillent la nuit.
Aussi, ces divas ne sont pas les cœurs de pierre sans sentiments dont elles peuvent avoir la réputation. Elles outrepassent leurs réserves et dissocient leur genre qui pour bon nombre d’entre elles n’a pas d’importance, le temps de l’audience. Aujourd’hui, les « loubards des prisons » peuvent et veulent de plus en plus être représentés par ces divas du barreau qui composent leurs plaidoiries brillamment, loin de la lumière médiatique. Pour Jacqueline Laffont, « certains hommes ont du mal à concevoir qu’une femme puisse leur tenir tête ou être tout simplement aussi capable qu’eux. Je dois dire cependant, qu’il s’agit d’une minorité ». Il reste cependant des progrès à faire