La culture d’entreprise est aujourd’hui accordée à toutes les modes, aussi bien dans des articles de presse spécialisée que sur les réseaux sociaux professionnels. Ce terme souvent employé à tort et à travers, parfois galvaudé, représente tout et son contraire. Comprendre ce que cette dénomination implique et les enjeux qui lui sont spécifiques est pourtant essentiel.
Le terme de « corporate culture », employé déjà par les cabinets de conseil dans les années 1970, est sorti au grand jour en 1982 quand est paru le livre de Terrence Deal et de Allan Kennedy, « Corporate Cultures: The Rites and Rituals of Corporate Life ». Cet ouvrage qui utilisait certains concepts anthropologiques à des fins d’analyse de la culture des entreprises a depuis ouvert la voie à un nombre incalculable d’articles, de thèses et cours sur la question.
« La culture d’entreprise nous dit ce qu’il faut faire lorsque le PDG n’est pas dans la pièce »
La culture d’entreprise, aussi appelée culture organisationnelle, désigne l’ensemble des différentes caractéristiques qui permettent d’expliquer le fonctionnement d’une entreprise par rapport à ses concurrents. Cette culture repose alors sur plusieurs piliers partagés par l’ensemble des salariés tels que des valeurs ou des rites communs. Cette culture d’entreprise englobe également l’histoire de l’entreprise ou la personnalité et les comportements de ses dirigeants successifs. Pour reprendre les termes de Frances Frei, ancienne vice-présidente principale du leadership et de la stratégie chez Uber et la directrice du Concire Leadership Institute, Anne Morriss : « la culture nous dit ce qu’il faut faire lorsque le PDG n’est pas dans la pièce ».
Des enjeux stratégiques essentiels
Si ces entreprises embauchent des experts dans ce domaine, ce n’est évidemment pas sans dessein. Les consultants sont de plus en plus appréciés par les dirigeants car ces derniers ont en effet compris qu’une culture d’entreprise positive est souvent le gage d’un plus grand épanouissement et à terme d’une meilleure productivité. Pour Forbes en février dernier, Jules Perignon, directeur principal des ventes chez HubSpot, rappelait une enquête menée il y a déjà 10 ans par ce qui était encore à l’époque Towers Perrin, auprès de près de 90 000 salariés dans le monde entier. Cette étude avait révélé que les entreprises dont le niveau d’engagement des employés est faible enregistrent une baisse annuelle de 33 % de leur revenu d’exploitation et une baisse annuelle de 11 % de la croissance des bénéfices. Ces résultats n’ont pas perdu de leur pertinence et illustrent l’importance de susciter une volonté d’engagement de la part des équipes d’une entreprise.
La culture d’entreprise exerce également une forme de contrôle sur les salariés, particulièrement visible dans les résultats d’une enquête Glassdoor ci-dessous.
Ces résultats sont-ils le simple reflet d’une culture d’entreprise commune à toutes les firmes, celle de la productivité ou bien la simple conséquence de la généralisation de l’open space, qui susciterait la sensation constante d’être observé ? Alain d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS, semble accuser l’open space. Dans un entretien accordé au Figaro, il pointait du doigt, « la norme sociale qui sous forme de «cancans», de rumeurs, est très présente dans l’entreprise, et est ainsi accentuée par l’open space. Chacun se surveille, écoute les conversations des autres. La hiérarchie de l’entreprise se sert en fait de l’open space comme d’une mécanique de contrôle social des salariés entre eux, ce qui leur évite de le faire eux-mêmes. »
Un outil difficile à cerner
« L’entreprise n’attire plus par sa taille mais par sa capacité à démontrer qu’elle a une contribution positive. »
Intuitivement, à la lumière de ces explications, la culture d’entreprise peut apparaître uniquement comme une stratégie de la part des dirigeants pour maximiser leurs rendements en incitant les employés au dépassement de soi, en l’absence même de contrôle hiérarchique. Pourtant, certains soulignent l’aspect positif que peut avoir la culture d’entreprise, dès lors qu’elle a pour finalité le bien-être des salariés. En effet, en 2018 un article paru dans le bimestriel Courrier Cadres évoquait l’effet positif de « l’activity based-office », mise en place dans une vingtaine d’entreprises comme Sodexo ou le Crédit Agricole. Ce principe voudrait permettre une mosaïque d’usages propres à chaque équipe et chaque direction en fonction de leurs propres besoins. Ce système donnerait concrètement une limite de surface à ne pas dépasser aux équipe qu’ils aménagent eux-mêmes selon leurs besoins, pour créer une forme d’open space à la carte. Aménager le lieu de travail pour augmenter le bien être permet alors d’orienter les rites de l’entreprise et son image vers un statut plus positif.
Ce positionnement de la culture d’entreprise par les dirigeants est un enjeu d’autant plus important que les jeunes génération attendent cette démarche. Pour Me Jean-Luc Chenaux, professeur de droit des affaires à l’université de Lausanne, « face à des jeunes diplômés fascinés par l’indépendance et l’innovation, l’entreprise n’attire plus par sa taille ou sa capitalisation boursière, mais par sa capacité à démontrer qu’elle a une mission et une contribution positive envers la société ». Certaines entreprises prônent alors une « culture ouverte » où chacun peut s’exprimer indépendamment de sa position hiérarchique et où l’ensemble des employés aurait une certaine autonomie. Pour Nelly Grellier, partner chez OCTO Technology, un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation digitale et reconnu comme un exemple de culture ouverte sur son secteur, « il est plus que jamais le moment pour les entreprises de dire : votre opinion a de la valeur et compte pour le projet commun de l’entreprise ».