« Pour se protéger d’une épée, il faut un bouclier. Or, construire un bouclier contre l’arme nucléaire s’est révélé jusqu’ici impossible ». Malgré l’engagement de certains Etats dans une course aux armements protectifs, la formule de Jacques Attali (écrivain, professeur d’économie), souligne pour autant la puissance de la bombe atomique. Un feu destructeur, qui permet aujourd’hui à la France d’être l’un des cinq pays détenteurs officiellement de cette arme absolue. L’arme atomique a toujours été un sujet qui fascine, de par sa force de frappe incommensurable, ses dégâts terribles et irrémédiables infligés au territoire ciblé, mais aussi et surtout du fait de son caractère secret et exclusif. En effet, en France, il n’y a qu’un personnage détenteur du feu nucléaire : le premier des Français, le président de la République.
L’armement nucléaire de la France, une nécessité historique et stratégique
Pour analyser cette relation si particulière entre le président et le pouvoir atomique, il est nécessaire de revenir aux débuts de cette arme militaire ultime. Dans les années 1960, lors de la Guerre froide, le monde vit dans la peur d’une guerre nucléaire entre les deux grandes puissances de l’époque, les Etats-Unis d’Amérique et l’URSS. Or, la France, à cette période, est une cible pour l’Union Soviétique, qui est alors capable de déployer des chars rapidement. Selon le Général de Gaulle, ces derniers étaient à « à peine deux étapes du tour de France ». Selon le général, pour contrer l’URSS mais également pour affirmer la force et l’autonomie défensive du pays, il faut doter la France d’une arme permettant de dissuader un ennemi de l’attaquer. L’arme nucléaire s’est donc imposée comme une force dissuasive et non offensive, dans l’objectif d’éviter une agression et non pour mettre fin à une guerre – comme ce fut le cas à Hiroshima et Nagasaki le 6 et 9 août 1945.

A la suite des premiers essais, en octobre 1964, le premier Mirage IV transportant la bombe atomique prend son envol. La France rejoint alors ce cercle restreint des pays disposant de la plus puissante arme jamais conçue. Son utilité se révèle déterminante lorsqu’en 1966, la France quitte le commandement de l’Otan, et affirme ainsi une diplomatie indépendante, notamment des Etats-Unis.
Une arme nucléaire toujours plus technique et diversifiée
Au fil des années, les bombes nucléaires ont été modernisées et ont pu devenir, d’un point de vue technique, toujours plus puissantes et précises. A titre d’exemple, une bombe de 100 kilotonnes serait capable de détruire l’ensemble de la capitale française et occasionnerait des millions de morts. Cela souligne bien le caractère épouvantable de cette arme. On distingue en France deux composantes de cette force nucléaire : la force océanique stratégique et la force aérienne stratégique.
La première se situe sur la base de l’Ile longue, près de Brest. Dans ce site ultra-sécurisé, on y trouve les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), qui sont quasi-indétectables. Au moins l’un d’entre eux est en patrouille en permanence et un autre est prêt à être mis à l’eau. Cette force navale est un pan essentiel de la dissuasion nucléaire française car chaque sous-marin peut transporter jusqu’à seize missiles M51, chacun pouvant emporter plusieurs têtes nucléaires. Ces missiles peuvent frapper dans un rayon d’environ 10 000 kilomètres. Inutile d’en chercher des photographies : aucune n’est à la portée du public, ceux-ci étant protégés par le secret défense. Seuls quelques rares privilégiés savent où se situent ces « bateaux » noirs.
S’agissant de la force aérienne stratégique, celle-ci repose sur la quarantaine de bombardiers Rafales, dont le but pour certains d’entre-deux est tout autre : être visible de l’adversaire. Cette force emporte des armes moins puissantes, mais plus précises. Cependant, leur portée reste, généralement en raison du poids des chargements, de plusieurs centaines de kilomètres, ce qui nécessite que ces avions soient transportés par le porte-avions Charles de Gaulle.

Ces deux forces constituent alors autant de possibilités pour le chef de l’Etat de déclencher une attaque atomique, en cas de situation extrême.
Le lourd manteau nucléaire du président de la République
Depuis la Ve République, le chef de l’Etat sait alors qu’il endosse, dès son investiture, le « manteau nucléaire ». Le nouveau locataire de l’Elysée s’entretient avec son prédécesseur et a lieu le changement des codes nucléaires. Dès le début de son quinquennat, le président reçoit donc ce qui symbolise son pouvoir absolu. Son chef d’état-major particulier lui expose alors l’état de la force de dissuasion nucléaire française et lui indique ce qu’il lui est possible de faire avec. Comme le souligne le général Jean-Louis Georgelin (ancien chef d’état-major particulier du Président Chirac) « Il n’y a plus de sacre, mais cela le distingue de tous les autres hommes politiques ». Le président, alors chef des armées, devient donc le détenteur de l’arme la moins utilisée de l’Histoire.
Que se passerait-il alors si le pire arrivait ? En cas de menace sur les intérêts vitaux de la France, le chef de l’Etat pourrait décider, seul, de déclencher l’apocalypse. Il y a donc une ligne rouge à ne pas franchir. Mais comment est-elle définie ? Elle est floue, dans le but de laisser l’ennemi dans le doute. En effet, il n’y pas dans la Constitution ou dans un autre texte une définition des “intérêts vitaux”. Le but est ainsi d’éviter qu’un agresseur potentiel puisse identifier cette limite et de facto s’attaquer aux intérêts non-vitaux. En pratique, le président de la République a la charge de les définir.
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Ainsi, si une ou plusieurs puissances nucléaires menaçaient le territoire français, l’ordre de tir émanerait directement du président de la République à destination des sous-marins ou des avions. Ce déclenchement est possible à n’importe quel endroit de la planète. Pour ce faire, l’aide de camp du président de la République, un militaire, transporte une mallette noire lors des déplacements du chef de l’Etat. Les codes de lancement du feu nucléaire se situeraient donc dans un simple attaché-case ? En réalité, on ne parle pas forcément de codes, mais plutôt d’un objet qui ne serait pas forcément cette mallette. L’objet en question, selon le Colonel Peer de Jong (ancien aide de camp de François Mitterrand et Jacques Chirac), peut très bien être perdu, mais personne ne saurait alors l’utiliser ni même le comprendre, et il serait jeté à la poubelle ! Cela souligne bien le caractère secret qui entoure l’ensemble de la force de dissuasion nucléaire.

Aussi, si l’ordre est donné, s’en suivrait une série de procédures complexes qui permettraient de vérifier que l’ordre provient bien du président. Enfin, ce serait au commandant du sous-marin et à son second de déclencher le feu atomique, sans même savoir la cible exacte du missile.
Dissuasion ou danger : l’éternel débat sur l’utilité de la bombe nucléaire
Fort heureusement, l’utilisation de l’arme nucléaire n’a jamais été envisagée sous la Ve République, ce qui démontre paradoxalement pour certains, l’utilité de cette arme irrémédiable. En effet, de par son caractère terrifiant, elle serait un « vecteur fondamental de paix » selon le Général Henri Bentégeat (ancien chef d’état-major des armées). En revanche, d’autres estiment qu’il faudrait plutôt aller vers un désarmement pour contenir une prolifération inévitable. Selon Hervé Morin (ancien ministre de la Défense), de plus en plus d’Etats tendent à devenir détenteur de la bombe atomique, et il craint qu’un chef d’Etat considère un jour cette force comme une véritable « arme d’emploi ». Ouvrant donc la voie à une possible guerre thermonucléaire balayant l’Humanité.
Aujourd’hui, de nombreux Etats, dont les Etats-Unis, se questionnent sur le développement d’armes nucléaires de moindre puissance, permettant en revanche la destruction ciblée d’infrastructures. Bien que la France ne se soit jamais officiellement positionnée sur cette question, une telle situation renouvellerait peut-être le rapport entre le président et la bombe et l’utilisation qui est faite de celle-ci.