De l’affaire Dreyfus au Covid-19 : chronique des combats de la Ligue des droits de l’Homme

Plus de 120 ans après sa création, la Ligue des droits de l’Homme est encore aujourd’hui au coeur de l’actualité. Evoquée de façon récurrente dans le cadre des référés liés au Covid-19, cette association milite quotidiennement pour la défense de l’universalité des droits fondamentaux. 

L’affaire Dreyfus, berceau de la Ligue des droits de l’Homme

L’affaire Dreyfus qui a fait l’objet de grands affrontements au sein de l’opinion publique française, est à l’origine de la naissance de la Ligue des droits de l’Homme. À l’époque, certains estimaient que les institutions du pays ne pouvaient se tromper tandis que d’autres croyaient en  l’innocence du capitaine. C’est en 1898 que des citoyens, défenseurs de la cause de ce dernier et du plaidoyer de Zola, avec à leur tête le sénateur girondin Ludovic Trarieux, decident de former la Ligue des droits de l’Homme. Une première réunion s’est alors tenue le 20 février 1898 au domicile du sénateur et, peu à peu, le nombre de membres s’est accru. Le 1er avril 1898, la Ligue comportait déjà 300 membres et le 4 juin 1898 s’est tenue à Paris sa première assemblée Générale, présidée par Trarieux. Elle s’est élargie depuis, au point de comporter aujourd’hui près de 8000 adhérents. 

La dégradation d’Alfred Dreyfus illustrée dans l’édition du 13 janvier 1895 du Petit Journal. Crédit : IStock

Cette petite étincelle née de l’affaire Dreyfus, accompagnée de la prise de position ferme d’Emile Zola, a marqué le point de départ d’une Ligue qui, dès sa création, a fait comprendre qu’elle ne défendrait pas uniquement la cause du capitaine mais celle de tous ceux dont les droits seraient bafoués

Depuis 1898, « la Ligue n’a pas changé du tout fondamentalement, elle s’est adaptée au monde actuel ».

Depuis sa création, la Ligue s’est attelée à défendre l’universalité des droits fondamentaux, combat qu’elle continue de mener aujourd’hui. Il est indéniable que certaines luttes s’adaptent aux évolutions sociales, mais l’essence de l’action demeure la même. Dans un entretien accordé au Courrier, Dominique Noguères, avocate de profession et vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme confirme cette immuabilité en soutenant que « la Ligue n’a pas changé du tout fondamentalement, elle s’est adaptée au monde actuel ». Des questions essentielles se sont progressivement imposées néanmoins. Dominique Noguères fait particulièrement référence à la période où la présidence était assurée par Madeleine Rebérioux et durant laquelle cette dernière s’était particulièrement intéressée aux droits économiques et sociaux. En tant que présidente de la Ligue, elle avait réussi à mettre sur le devant de la scène des causes auxquelles elle tenait telles que la «citoyenneté sociale», le féminisme, l’insertion des étrangers ou encore le souvenir de l’affaire Dreyfus». Outre ces thématiques particulières, la Ligue s’intéresse également à de nouveaux enjeux majeurs du XXIème siècle tels que les questions liées à la protection des données personnelles. 

« Le rôle de la Ligue est d’expliquer qu’en tant que citoyen, on doit pouvoir exercer ses droits en leur plénitude. »

La Ligue est un acteur civique libre et indépendant des partis politiques, des syndicats, des associations et intervient sur l’ensemble du territoire. Ses membres ont décidé librement de s’associer pour trouver des moyens pour défendre les droits et libertés. Parmi les fondements textuels majeurs de leurs actions, figurent les Déclarations des droits de l’Homme de 1789 et de 1793 ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. « Les droits de l’Homme sont universels et recouvrent tous nos autres droits», précise Dominique Noguères. « Le rôle de la Ligue est d’expliquer qu’en tant que citoyen, on doit pouvoir exercer ses droits en leur plénitude. » 

La Ligue mène-t-elle une action humanitaire ?

Si cette association a pour mission d’assurer la défense des droits dans leur ensemble, tous les citoyens sont alors concernés. Il ne serait donc pas illégitime de faire un rapprochement avec l’humanitaire, ce mouvement moderne, autonome par rapport aux institutions politiques et religieuses et puisant dans ses propres principes sa raison d’être et les règles de son action. L’autonomie et la défense de certains principes sont des éléments qui pourraient faire penser à l’action de la Ligue. Cependant, Dominique Noguères rappelle bien qu’il ne s’agit pas d’un travail humanitaire : « l’objectif de la Ligue est de poser un débat public en expliquant qu’on ne peut pas laisser sur le côté quelques catégories de populations et en encourageant l’Etat à exercer un rôle plein et entier sur ces questions». 

Un travail de dénonciation : « c’est en mettant le doigt là où ça fait mal que nous agissons »

Le travail de la Ligue est, comme le souligne Mme Noguères, celui de la dénonciation puisqu’un de ses objectifs est de chercher à « faire prendre conscience aux citoyens qu’il se passe parfois des choses anormales qu’on ne doit pas laisser s’installer, car certaines mauvaises habitudes restent ou influent sur les décisions prises a posteriori ». Après l’état d’urgence de 2015, la réforme a, par exemple, conduit à une « aggravation considérable des articles du code pénal » selon la vice-président de la Ligue. Il s’agissait d’un état d’urgence qui s’est étendu de novembre 2015 à novembre 2017. Au regard des mesures exceptionnelles qui peuvent être décrétées dans un cas de péril imminent portant gravement atteinte à l’ordre public et engendrant la mise en place de cet état d’urgence, certaines libertés publiques ou individuelles peuvent être ainsi menacées.  

Des enjeux divers aujourd’hui en grande partie liés à la situation de crise sanitaire

Pour Dominique Noguères, ces enjeux se résument toujours « aux atteintes aux libertés », qui ressurgissent selon les différents contextes auxquels le pays se retrouve confronté. La crise sanitaire actuelle par exemple, fait essentiellement appel à la défense des libertés publiques, que la doctrine considère comme étant l’expression d’un pouvoir d’autodétermination reconnu par des normes à valeur au moins législative et bénéficiant d’une protection renforcée même à l’égard des pouvoirs publics. Aujourd’hui, Mme Noguères admet que se faire entendre dans ce contexte sanitaire particulier est difficile. « Parler de la défense des libertés dans une crise comme celle-ci où l’enjeu humain est important n’est pas facile, mais reste en même temps indispensable. On ne peut, par exemple, laisser se mettre en place des systèmes de surveillance dont on ne connaît pas la finalité ».

Dominique Noguères partageait au Courrier la crainte actuelle de la Ligue liée à la situation de crise sanitaire : celle que les dispositions dérogatoires de l’état d’urgence se retrouvent un jour ou l’autre dans la loi ordinaire. « Même s’il est voté au parlement, le débat est restreint et les textes très courts. Il y a une  réduction  du champ d’action du parlement. Il y a une apparence démocratique mais en réalité il y a une perte de certaines des libertés fondamentales et des libertés au sens noble du terme politique. La Ligue lutte justement pour ne pas priver les citoyens de leur propre action démocratique », confie-t-elle. Pour cette avocate de profession, l’état d’urgence restreint des libertés fondamentales et accorde à certains « des pouvoirs exorbitants, ce qui explique que des référés ont été réalisés contre l’action de certains préfets ». Les enjeux se suivent, se ressemblent mais le contexte actuel présente un degré supérieur de défi.

« On a l’impression que la question de la défense des libertés passe au second plan et que l’inquiétude généralisée se focalise surtout sur la santé ».

Malgré toutes les actions menées par la Ligue, un sentiment de ne pas être assez soutenu subsiste. Le caractère conceptuel de la notion de droits et libertés y est probablement pour quelque chose. « La défense des droits de l’Homme est un sujet sur lequel on est relativement seuls, on a l’impression que la question de la défense des libertés passe au second plan et que l’inquiétude généralisée se focalise surtout sur la santé », confie-t-elle.  

La multiplication nécessaire des référés pendant un tel contexte

Le référé-liberté est une procédure qui permet de saisir en urgence le juge administratif lorsque le justiciable estime que l’administration porte atteinte à une liberté fondamentale. La Ligue ne s’est pas donc pas empêchée d’effectuer une multitude de recours lorsqu’elle l’estimait nécessaire. Parmi les dossiers en cours figure par exemple le référé-liberté introduit par la Ligue devant le tribunal administratif de Lyon, contestant un arrêté du 15 avril dernier pris par le maire de St-Etienne interdisant l’activité physique extérieure de 9h à 21h. La Ligue s’est retrouvée à devoir interjeter appel devant le Conseil d’Etat suite à un rejet par ordonnance de tri. 

Retour sur l’épineuse question du port du masque obligatoire

Mme Noguères prend, quant à elle, l’exemple de l’affaire médiatisée concernant un arrêté pris par le maire de Sceaux, obligeant les habitants à porter un masque. Cet arrêté a fait l’objet d’une saisine  en référé par la Ligue devant le tribunal administratif de Cergy. Au regard de cet exemple, elle reconnait que les référés actuels ont fait « l’objet de nombreux débats ». La reconnaissance des libertés fondamentales étant en soi souvent débattue en dehors de ce contexte particulier, il est inévitable que ces actions et que la défense assurée par la Ligue fassent l’objet de divergences au sein de l’opinion publique. Cependant, Dominique Noguères donne l’exemple de certaines interrogations qui peuvent apparaitre dans le cas de l’affaire relative à l’arrêté pris par le maire de Sceaux :  « Qu’en est-il  de la personne qui vient faire ses courses à Sceaux et n’habite pas à Sceaux ? Est-elle aussi obligée d’acheter un masque ? Les référés révèlent les inégalités des territoires, ainsi que les inégalités à l’accès aux masques. Dans de telles circonstances, la Ligue défend la protection de la population, en promouvant la distribution gratuite de masques ».  

En somme, le champ d’action de la Ligue est indéniablement vaste et divers, comme en témoigne sa constante activité. « On recule dès que l’on n’avance pas », avait affirmé le président de la République Jacques Chirac à l’occasion  du centième anniversaire de la Ligue des droits de l’Homme. Depuis 1898 jusqu’aujourd’hui, la Ligue n’a cessé d’avancer pour être devenue aujourd’hui un véritable contre-pouvoir de taille.

Le Courrier du Collège de Droit remercie vivement Madame Dominique Noguères pour avoir généreusement accepté cet entretien.

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