Le Joker : film d’auteur à l’hollywoodienne ou «blockbuster» indépendant ?

Le « Joker », film produit par Warner/DC est enfin sorti au cinéma le 9 octobre. Deux étudiantes de la rubrique culture du Courrier du Collège se sont rendus en salle afin de se former leur propre avis sur ce film qui fait grand bruit.

Entre la tentation d’un film d’action hollywoodien et d’une interprétation plus intime du personnage éponyme

Depuis un mois la projection s’est révélée être un succès au box-office, malgré les inquiétudes pour ceux qui s’attendaient à un énième blockbuster dans la lignée des anciens Batman ayant passé la barre des 5 millions d’entrée. Il n’en est rien, bien au contraire. En effet, le film a reçu le prestigieux Lion d’or à la Mostra de Venise, prix récompensant usuellement les plus grands films du cinéma d’auteur tels La forme de l’eau de Guillermo del Toro. Le réalisateur s’éloigne de son registre habituel comique et envoie valser les conventions des films d’action en proposant un portrait presque attachant de ce personnage dérangé. Par ces choix de mise en scène soignées et une interprétation intime du personnage, le film semble disposer de nombreux critères de films indépendants. Pourtant, quelques détails sanguinolents et la tentation des coups de publicité rappellent bien la pâte hollywoodienne derrière cette production.

La performance de Joaquin Phoenix : coup de publicité hollywoodien ou la réalisation d’une prouesse sur le pathétisme et les violences d’une société

La performance de Joaquin Phoenix a été encensée par la critique. Il a été capable tant d’effrayer le public par son rire maniaque exécuté à la perfection que d’attendrir dans les scènes où il est présenté comme une victime de la société. Le spectateur ressent une certaine compassion face aux maltraitances subies par ce personnage emblématique et s’attendrit dans les scènes où ce dernier est aux soins de sa pauvre mère malade. Par ce choix artistique d’insister sur la vie personnelle pathétique du personnage, le réalisateur propose une forme de réflexion sur les raisons de la montée de la déviance et de la violence contemporaine, tout en bannissant toute tentation de caricature. Le public est donc amené à penser qu’il s’agit d’un film plus indépendant, que purement « d’action » vu et revu sous les projecteurs des studios hollywoodiens à l’instar de la série Batman, où le Joker n’y est présenté uniquement en tant qu’anarchiste sans états d’âme.

Une transformation physique impressionnante

Pour arriver à un tel niveau de jeu d’acteur, Joaquin Phoenix ne cache pas s’être préparé longuement en perdant d’abord 25 kg et en travaillant jour et nuit son rire, poussé par une pression médiatique de réaliser la performance de sa vie. Il confesse également qu’il n’aurait pas accepté le rôle s’il n’avait pas pu perfectionner le rictus aussi atypique que glaçant de son personnage. Joaquin Phoenix et Todd Phillips ont même été jusqu’à étudier les différents types de maladies mentales pour améliorer la psychologie du personnage. Autour de cette transformation, les médias ont été largement sollicités : partout sur les réseaux sociaux numériques fusaient les vidéos et commentaires sur « la transformation époustouflante de Joaquin Phoenix ». Pour gagner un Lion d’or suffirait-il alors de mettre la santé de ses acteurs en jeu et le partager lourdement dans la politique de communication du film ? Le débat est permis face aux grandes performances d’acteur ayant nécessité de grands changements physiques comme Christian Bale ayant atteint un seuil de maigreur dangereux pour Rescue Dawn, de Werner Herzog.

Joaquin Phoenix lors d’un entretien au Festival de Toronto en 2005 par Tony Shek

De nombreux interviews de l’acteur principal, Joaquin Phoenix, attestent qu’il serait véritablement entré dans la peau du personnage. Il estime même être devenu le personnage. Pourtant, d’autres interviews avec le personnel de l’équipe et l’acteur principal lui-même révèlent une autre réalité derrière les coulisses. Ces interviews font part d’une “difficulté à entrer dans le personnage” ou “d’insultes envers les membres de l’équipe”. Cette transformation de Joaquin Phoenix semble n’être qu’un coup de publicité, rappelant l’esprit plus hollywoodien. Tant par les coups de publicité autour de la transformation de l’acteur que par les aspects « film d’auteur », le public se sent contraint de s’extasier à la sortie devant ce film. Or cette surmédiatisation est loin d’accompagner les films indépendants, faisant toutefois rejoindre le Joker au banc des films d’actions « blockbuster », habituellement très publicitaires.

De la violence à outrance digne d’un blockbuster hollywoodien ou la mise en scène d’une dualité complexe du Joker ?

Pour comprendre l’hésitation de qualifier ce film d’indépendant ou d’hollywoodien, il faut s’intéresser à présent à la mise en scène. Chaque scène est un tableau. Le réalisateur construit un film d’auteur en donnant à ses images une réalité plus profonde et une forme de célébrité comme dans la scène où le Joker descend les bien connus escaliers de New York en dansant, escaliers qui depuis la sortie du film se voit d’ailleurs pris d’assaut par les touristes du monde entier. Quoi de plus parlant pour évoquer une descente aux enfers cynique et effrayante ? La danse réalisée par le personnage éponyme à chaque fois qu’il bascule du mauvais côté de son esprit évoque également la dualité du personnage. Lors d’une interview réalisé par Le point, il confie qu’il voulait que tout fasse “réel et authentique” sans aucun artifice. Pourtant, toutes ces scènes dignes d’un film d’auteur sont contrastées par une forte influence hollywoodienne. Le spectateur retrouve le sang, la violence et les exagérations typiques des blockbusters. La disparition de personnages construits pour être appréciés par le public, comme par exemple le seul personnage appréciant le Joker, est une des caractéristiques des procédés hollywoodiens. Les scènes sont d’apparence prometteuses mais qui demeurent malheureusement poncives.

Le Joker ne pouvait toutesfois pas décevoir son public. Todd Phillips a réalisé une œuvre spectaculaire tant en termes de décors que de scènes violentes. Pourtant, il semble que cette exagération soit en réalité un coup de bluff. Le film commence d’évoquer des pistes intéressantes comme la corruption du personnage interprété par De Niro ou l’immoralité de la société toute entière. Il ne les exploite pourtant pas et décide de se focaliser simplement sur un thème trop attendu, la rébellion contre le pouvoir. Vu et revu, cette vision laisse de côté des questions moins consensuelles que le spectateur pouvait espérer comme dans les véritables films d’auteur.

Alice Colombet et Maelys Rollinde de Beaumont

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