Il y a 220 ans, le Coup d’État du 9 et 10 novembre 1799 marquait le début d’un régime consulaire. Cet événement, orchestré par des hommes parfois absents de certaines pages du roman national, aura néanmoins une postérité capitale pour les institutions judiciaires.
Deux jours et deux nuits, c’est ce qu’il fallut pour qu’un coup d’éclat téméraire prenne la qualification de coup d’État militaire. Les institutions peinent à s’enraciner en 1799 et le peuple est désorienté. L’explication principale provient des discordances politiques entre les jacobins soutenant mordicus l’œuvre révolutionnaire, et les royalistes souhaitant une restauration, ce qui maintient cet état de stase. L’académicien défunt Prévost-Paradol vise juste quand il parle des conséquences de l’été 1789 : « la Révolution a fondé une société ; elle cherche encore son gouvernement ». Ce gouvernement allait toutefois être peint et esquissé par des hommes dont le tableau final serait incarné par une personnalité, Napoléon Bonaparte. Ce dernier est envoyé par les directeurs, représentants du pouvoir exécutif, en mai 1798 en Égypte afin de l’éloigner du pouvoir. Au gré des victoires et des harangues, le général ne fait que d’accroître son prestige et une fois informé de la situation de son pays, décide d’écourter son épopée et de rentrer en France. Il apprend en effet que la Russie et la Turquie ont déclaré la guerre à la jeune République. En juin 1799, un remaniement des directeurs s’opère pour remédier à cette crise, mais rien ne s’améliore. Enfin, la défaite de Novi fait perdre à la France l’Italie, et la défaite de Napoléon, cette fois en Syrie, précipite son retour.
Une prise de pouvoir impensable sans l’appui de fervents soutiens
Napoléon revient en France en octobre 1799 et débarque à Fréjus. Qui l’attend ? Simplement son frère, Lucien Bonaparte, président de l’une des deux assemblées parlementaires, le conseil des Cinq-cents, ainsi que Emmanuel-Joseph Sieyès, un des cinq directeurs, partisan d’un régime autoritaire et fomentant un coup d’État qu’un « sabre » devait réaliser. Ce sera Napoléon qui donnera le coup de grâce. Les réunions de préparation en compagnie de Fouché et Talleyrand se passent alors dans l’hôtel Beauharnais, rue Chantereine, rebaptisée ensuite rue de la Victoire, dans le neuvième arrondissement de Paris. Sieyès démissionne, et il ne fallait plus que les quatre autres sièges directoriaux soient vidés, afin que le régime chute. Ainsi, Roger-Ducos et Barras font de même tandis que Gohier et Moulin, alors suspectés d’accointances jacobines, sont destitués et arrêtés.

Le 18 brumaire, la rumeur d’un complot royaliste pousse les deux Conseils à s’installer au château de Saint-Cloud, loin de Paris, et loin de son peuple imprévisible. Au Palais Bourbon, Lucien lit le décret de transfert au Conseil des Cinq-cents et, dans l’agitation, la salle se vide. Les Anciens, une fois à Saint-Cloud, occupent la galerie d’Apollon et les Cinq-cents s’installent dans la salle de l’Orangerie. Le château accueille donc la représentation nationale, les ouvriers installent les sièges en hâte et le doute plane quant à la véracité de ce prétendu complot. Bonaparte est désigné commandant des troupes armées de Paris et de sa banlieue par le Conseil des Anciens. Le 19 brumaire, Bonaparte et son escorte arrivent au château. Le député Lenglet interpelle Napoléon après un véhément discours de ce dernier dans la galerie d’Apollon, lui rappelant l’existence d’une Constitution. Il répond que cela importe peu, car elle avait déjà été violée trois fois, discours que l’histoire retiendra comme malvenu. Dans ce dernier, Napoléon invoque le dieu de la guerre et autres figures dont l’éveil est perçu comme incongru par les députés. Emporté par le risque et les flots d’insultes, Napoléon est vite ramené à la raison par son ami Bourienne, lui avertissant sans ambages : « sortons général, vous ne savez plus ce que vous dites ». Des députés prennent leurs jambes à leur cou et d’autres errent de pièces en pièces. Napoléon déambule entre les salles où siégeaient les Conseils, de plus en plus agacé par l’exécution tortueuse du plan.
Des jacobins enjoignent ensuite les Cinq-Cents de prêter serment à la Constitution, Napoléon rejoint avec quelques grenadiers la salle de l’Orangerie, sous les blâmes des représentants. Son discours provoque l’ire des députés, « à bas le dictateur !» est scandé dans la pièce. Les invectives fusent, et Lucien demande aux soldats de remettre de l’ordre dans les assemblées. Dans ce désordre, le militaire Joachim Murat, présent dans la pièce lance son fameux « foutez-moi tout ce monde dehors ! ». Lucien tente de contenir les parlementaires scandant des diatribes contre son frère, et fait croire à une tentative d’assassinat de ce dernier au poignard, afin de l’extraire de la salle, pour ensuite reprendre la séance. Les deux Conseils, intimidés par la présence de régiments parisiens décident finalement de réviser la Constitution. Lucien démissionne et brandit une épée en clamant qu’il percerait le sein de son frère si celui-ci venait à porter atteinte à la Liberté. Il reste peu de députés, les troupes sont obligées de récupérer quelques représentants restants afin de leur faire voter tant bien que mal la révision. L’épilogue du Directoire survient et le Consulat se dessine. Napoléon a vingt ans au moment de la Révolution, il en a trente quand il devient Premier consul.
L’esquisse d’une nouvelle architecture constitutionnelle
L’historien J.J Chevallier relate alors les interrogations que pouvaient avoir les français en ces termes : lorsque il était demandé ce qu’il y avait dans la Constitution, la réponse était invariablement : « il y a Bonaparte ! ». Cette réplique témoigne donc d’une certaine approbation populaire, ou à défaut d’une particulière passivité, héritière de toutes ces déceptions.

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Dans son projet initial, Sieyès prône la création d’un jury constitutionnaire, chargé de contrôler la conformité des lois à la Constitution. Il développe alors une forme de contrôle de constitutionnalité, idée étonnante pour l’Esprit du siècle. De surcroît, Napoléon, trouvant l’idée d’une éventuelle stratification des votes ubuesque, a eu la plume légère en modifiant le projet et a choisi de conserver une organisation tri-consulaire, avec un Corps législatif dont la capacité d’influence est résiduelle. Par ailleurs, l’article 52 du texte final donne naissance au Conseil d’État, chargé de la rédaction des projets de loi et de la résolution des « difficultés » administratives, en vue de conseiller les trois consuls. La Constitution du 22 Frimaire an VIII approuvée par référendum voit alors le jour et une proclamation des trois consuls survenant deux jours après a cette teneur : « citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie ». Pour la première fois peut- être depuis dix ans, les français veulent y croire.
Une postérité débattue
« Le vrai caractère perce toujours dans les grandes circonstances » estime Las Cases, le rédacteur du Mémorial de Sainte-Hélène. Le brouillard national de ce mois de brumaire n’a pas uniquement été dissipé par Napoléon, mais aussi par ses soutiens à la charge politique d’oeuvrer pour la reconstruction du pays tourmenté. L’histoire retiendra une grandeur narrée par le roman national et une bassesse contée par ses détracteurs, qui rappellent les centaines de milliers de morts causés par l’époque et les désirs expansifs d’un homme qui agissait, est-il dit, davantage pour la postérité que pour le présent. À cet égard, Jacques Bainville a cette pensée : « sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eût probablement mieux valu que Napoléon n’eût pas existé». L’assertion virulente demeure discutable mais la postérité politique et constitutionnelle de ce coup d’État l’est beaucoup moins.